L’alchimie des multitudes

Toujours connectés… Avec deux milliards d’internautes et cinq milliards de téléphones mobiles, sans parler des autres objets communicants, c’est devenu une réalité.

Le blogueur Francis Pisani et le consultant Dominique Piotet nous livrent leur réflexion sur les manières dont le Web change le monde. Idée centrale, à l’ère des réseaux sociaux : « 1 + 1 = beaucoup ». C’est le principe de « l’alchimie des multitudes » ou de la participation des « webacteurs ».

Le Web est devenu le produit des effets de réseaux. Le Web devient la plate-forme sur laquelle on peut presque tout faire, et l es auteurs retiennent six caractéristiques majeures : le Web permet des interactions, le haut débit attire de plus en plus d’utilisateurs, encourage les contributions, crée des effets de réseaux (les contributions forment un ensemble plus grand que la somme des parties) et le Web donne lieu à de nouvelles opportunités de créations de valeurs, notamment sur les marchés de niche. Les internautes sont donc devenus des « webacteurs ».

La différence ? « Les internautes utilisaient Internet, les webacteurs le façonnent avec le contenu qu’ils génèrent et leur capacité de l’organiser », expliquent les auteurs.

Comment le Web change le monde, des internautes aux webacteurs, par Francis Pisani et Dominique Piotet, 2e édition, Pearson,
2011, 330 pages

Cette alchimie des multitudes repose sur cinq éléments que l’on retrouve rarement tous ensemble : accumuler des données, selon le principe que « plus on facilite l’accès aux données en les réunissant, plus on en accroît la valeur » ; miser sur la diversité, avec des sources nombreuses et variées ; compiler/synthétiser ; mettre en relation pour augmenter les effets de réseaux ; délibérer.« Chaque participant n’a qu’une connaissance partielle de l’ensemble, mais la collaboration, les multiples interactions, la synergie à l’œuvre, conduisent à l’émergence de propriétés nouvelles que l’on peut fort bien appeler « intelligence collective » », expliquent les auteurs.

Vers l’entreprise « liquide »

Qu’est-ce que cela change ? Sur le plan économique, on assiste à la combinaison de quatre facteurs : l’arrivée du consommateur dans la chaîne de création de valeur change les processus de production, la disparition des intermédiaires traditionnels génèrent de nouvelles formes d’intermédiation, l’apparition de nouveaux modèles d’affaires en détruit d’autres, plus anciens et, enfin, la fixation des prix se trouve elle aussi modifiée, avec le développement du principe des enchères.

Pour l’entreprise, les pressions viennent à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. De l’extérieur, à mesure que « les réseaux sociaux s’invitent au cœur de la stratégie des organisations » mais, insistent les auteurs, « entreprises, partis politiques, gouvernements ou associations ont bien du mal à engager la conversation et à trouver une place juste sur les réseaux sociaux ».

De l’intérieur, avec une demande pour les nouvelles technologies « qui n’est pas dictée par des besoins strictement liés aux processus de production ni aux métiers de l’entreprise, mais par des habitudes issues des usages grand public des technologies Web ». D’où une contradiction entre l’entreprise qui a édicté des règles et des bonnes pratiques pour l’usage de son système d’information, et cette « demande de porosité venue de l’intérieur de ses frontières ».

Avec des modes de collaboration plus ouverts et la mode de l’informatique en nuages, l’entreprise devient « liquide » dans la mesure où elle peut tirer parti de la mise en relation et de l’ouverture. Résultat, pour les DSI : « Se poser la question du firewall, le cœur du réseau de l’entreprise, perd de son importance quand on veut comprendre le mouvement en cours, soulignent les auteurs. Cette question, somme toute technique, se réglera avec le temps, la pression des utilisateurs et la sécurisation des flux. Car c’est bien sur la sécurisation des flux que l’entreprise efficace devra se pencher, plus que sur la construction de forteresses. »

Se dessinent alors quelques « macro-tendances » que les auteurs mettent en exergue : d’abord, l’hyperconnectivité : « Aux connexions entre ordinateurs (Internet), entre documents (Web 1.0) et entre personnes (Web 2.0), il faut maintenant ajouter l’Internet des objets. »

Ensuite, il est possible de « s’organiser sans organisation » : « Il y a sous l’entreprise (et sous tout espace où une institution est utile) un monde dans lequel elle ne sert à rien, mais dans lequel nous pouvons aujourd’hui opérer et faire collectivement des choses qui nous étaient interdites avant, des actions qui n’étaient abordables qu’individuellement. »

Si l’on peut aisément identifier les tendances à venir, il reste une incertitude : prévoir quand elles se matérialiseront, car on ne connaît pas ou mal l’état des forces qui poussent au changement et de celles qui freinent, par exemple avec les oppositions plate-forme/application, distribué/concentré, ouvert/fermé…