Le DSI technologique est en train de disparaître

Pour Michael Bloch, qui dirige le Business Technology Office français de McKinsey&Company et le pôle de compétences européen Outsourcing et Offshoring, les missions des DSI se trouvent bouleversées par la crise actuelle. C’est le moment d’actionner les leviers de réduction de coûts et d’optimisation des systèmes d’information.

Qu’attendent les entreprises de leurs DSI ?

Michael Bloch  Nous sommes dans une période très compli­quée.La crise actuelle est marquée par trois incertitudes : l’ampleur et la durée de la récession, la capacité de rebond des marchés de capitaux pour financer la croissance, et les interventions des pouvoirs publics.

Chez McKinsey, nous avons construit quatre scénarios, selon deux axes : la sévérité de la récession et la reprise sur le marché du crédit et des capitaux. Les dirigeants que nous avons interrogés écartent, pour la plupart, les deux scénarios extrêmes (récession longue et reprise rapide) et privilégient une reprise en douceur, sur une durée de deux à quatre ans.

Quel que soit le scénario qui se réalisera, cette situation de crise a des implications très importantes en termes de technologies. Les directions métiers que nous avons interrogées citent bien sûr la nécessité de réduire les coûts, mais insistent plus encore sur l’amélioration des processus business.

Elles attendent donc beaucoup de leurs DSI. Face à ces attentes, le DSI a un triple rôle à jouer : réduire les coûts pour libérer des ressources, améliorer la productivité des métiers et favoriser l’innovation.

Le premier rôle (réduire les coûts) permet d’atteindre les deux autres en libérant des ressources au service de la productivité et de l’innovation. Nos recherches montrent que, dans les périodes de transformation et de crise, les entreprises qui survivent sont celles qui ont non seulement réduit massivement les coûts mais qui ont aussi, en parallèle, réinvesti en innovation, en R&D et procédé à des acquisitions, au moment où les valorisations des cibles étaient au plus bas.

C’est ce qui s’est passé lors de la crise du début des années 1990 : nous avons mesuré que, parmi les mille plus grandes entreprises industrielles américaines étudiées sur la période 1982 à 1999, les plus performantes avaient augmenté leurs efforts en recherche et développement de 22 % en moyenne pendant les phases de récession.

Cela signifie-t-il un réel changement dans le métier de DSI ?

Michael Bloch  Avec la nécessité d’avoir plusieurs casquettes, le DSI classique, purement technologique, est en train de disparaître. Dans le secteur financier, par exemple, qui est le plus mature en termes d’utilisation et d’usage des technologies de l’information, les profils historiques sont plutôt devenus des patrons des filiales techniques.

Parallèlement, ont été recrutés des managers avec des profils beaucoup plus orientés métiers pour occuper le poste de DSI. Ce que l’on pressentait il y a quelques années est en train de se matérialiser. De fait, le sigle CIO peut tout aussi bien signifier Chief Infrastructure Officer, Chief Innovation Officer, Chief Integration Officer que son acception courante de Chief Information Officer.

Jusqu’où ce modèle peut-il se décliner ?

Michael Bloch  On s’oriente, dans les entreprises, vers un modèle avec une triple structure. D’abord, un ou plusieurs DSI « métier », dont la mission est essentiellement de veiller au retour sur investissement du système d’information et à son alignement. Ensuite, un DSI « infrastructure » en charge de « l’usine informatique », et, enfin, un DSI Corporate, en charge, entre autres, des standards, de l’architecture, de la sécurité, des grands projets…

Le DSI infrastructure se concentre sur l’optimisation des coûts unitaires, le DSI métier est plus concerné par les questions de ROI et le DSI Corporate est plutôt concerné par des questions d’architecture, d’intégration et de gestion des risques. Avec la crise actuelle, la transition vers ce modèle à trois couches s’accélère.

Par ailleurs, on observe une déconnexion entre les actifs technologiques et les ressources humaines chargées de les gérer. L’infrastructure se trouve séparée, sur le plan organisationnel, soit parce que les entreprises ont filialisé cette activité, soit dans le cadre d’opérations d’infogérance.

L’objectif est de libérer des ressources : n’oublions pas qu’en moyenne 55 % du budget d’une DSI sont consacrés à la gestion des infrastructures. Lorsque ce ratio tombe à 40 %, des ressources sont disponibles pour se consacrer aux métiers.

Les centres informatiques sont ainsi installés dans des régions tempérées ou froides, pour des raisons d’économies d’énergie, tandis que les équipes qui les gèrent peuvent être n’importe où, en Inde par exemple. L’outsourcing d’infrastructures a d’ailleurs progressé au rythme de 80 % par an depuis 2005.

En quoi cette déconnexion transforme-t-elle la fonction de DSI ?

Michael Bloch  Dans un tel contexte, le DSI doit devenir un professionnel de la gestion de la relation avec les tierces parties et de filiales internes. Ces nouveaux métiers de gestionnaire de relations correspondent à des compétences en matière de conception et de gestion des SLA (engagements de services), de maîtrise des processus de facturation, de pilotage des fournisseurs, de réactivité et de gouvernance…

C’est un changement fondamental du métier de DSI, qui trouve son origine dans le monde anglo-saxon.

Sur quels leviers les DSI peuvent-ils s’appuyer ?

Michael Bloch  La crise peut être le bon moment pour mettre en œuvre les actions que l’on n’a pas eu le temps de réaliser auparavant. Prenons quelques exemples : pour la gestion de projet, on peut instaurer des approches plus strictes pour justifier les retours sur investissements, ajuster les engagements de services par rapport à leurs coûts, décider d’arrêter les projets qui dévient trop de leurs objectifs initiaux et agir pour rendre les structures de coûts encore plus transparentes.

Sur le plan des technologies, on aura tout intérêt à arrêter les applications peu ou mal utilisées, envisager la voix sur IP et la visioconférence pour économiser sur les frais généraux de déplacements, appliquer des techniques de type lean-six sigma pour améliorer la productivité et réduire les cycles de développement…

Enfin, en matière de sourcing, il peut être utile de réduire le nombre de prestataires, en particulier pour les services dits de « commodité », de mettre en place un pilotage par la performance et d’optimiser les achats de matériels en fonction des besoins réels. Face à la crise, la stratégie des DSI doit couvrir à la fois le court terme et des changements plus structurels.

A court terme, c’est-à-dire à un horizon de moins de six mois (voir tableau), il convient d’agir sur l’ensemble des leviers mentionnés plus haut. A plus long terme, les approches de consolidation entraînent des réductions de coûts substantielles.

Nous avons l’exemple d’un grand groupe aéronautique dont les dépenses en infrastructures ont diminué de 25 % avec des actions telles que la consolidation des mainframes, des réseaux et du help desk, la renégociation des prix au MIPS, l’accroissement des taux d’utilisation des serveurs, l’optimisation des contrats avec les fournisseurs, le recours à la voix sur IP, l’harmonisation des outils et des processus, la standardisation des postes de travail… Les récessions constituent des occasions pour expérimenter des nouvelles technologies et des nouvelles approches (Green IT, SaaS, cloud computing…).

C’est aussi l’opportunité de développer la co-création, en impliquant les clients dans les processus de l’entreprise, comme le font par exemple Lego ou Ikéa (les clients créent eux-mêmes le design des produits), ou Top Coder, qui favorise la compétition entre les développeurs pour développer des applications beaucoup plus rapidement, avec des composants en open source réutilisables.

Les leviers de réduction des coûts à court terme
Management des applications Potentiel d’économies/horizon (en mois) Management des infrastructures Potentiel d’économies/horizon (en mois)
Management de projet et de la demande
  • Rationaliser les portefeuilles de projets
  • Éliminer les demandes non critiques
  • 20 à 35 % / un à trois mois
  • 10 à 40 % / un à trois mois
  • Revoir et optimiser les engagements de services pour réduire la qualité excessive et les niveaux de support
  • 20 à 40 % / trois à six mois
Management des technologies
  • Éliminer de façon sélective des applications
  • 10 à 15 % / un à douze mois
  • Optimiser l’utilisation des serveurs et du stockage
  • Consolider les infrastructures IT (virtualisation…)
  • 10 à 20 % / trois à neuf mois
Organisation
  • Réduire les niveaux de management
  • 10 à 15 % / trois à douze mois
Sourcing
  • Réduire le nombre de fournisseurs
  • Optimiser les contrats fournisseurs
  • Envisager de réinternaliser des activités critiques
  • 10 à 35 % / trois à neuf mois
  • 10 à 40 % / trois à douze mois
  • 20 à 40 % / trois à six mois
  • Consolider et renégocier les contrats externes pour diminuer les prix unitaires
  • 5 à 15 % / trois à neuf mois
Processus
  • Lancer des initiatives Lean IT
  • 20 à 40% Un à trois mois
  • Favoriser les mesures d’économies d’énergie
  • Optimiser la performance du help-desk
  • 10 à 30 % / un à trois mois
  • 10 à 40 % / un à neuf mois
Autres
  • Geler les frais généraux (formation, voyages, recrutement…)
  • 20 à 40 % / un à deux mois
Source : McKinsey & Company.