Le meilleur tarif de refacturation n’est pas le plus juste mais celui qui remporte l’adhésion

Rencontre avec Eric Sand, directeur de l’organisation des systèmes d’information, FM2i

Quelle est votre problématique métier ?

Eric Sand FM Logistic est un fournisseur de chaîne logistique globale qui réalise 603 millions d’euros de chiffre d’affaires autour de trois métiers : le transport (25 %), l’entreposage (50 %) et les opérations à valeur ajoutée (25 %). Le groupe, créé il y a quarante ans, est présent dans douze pays avec 14 000 collaborateurs.

Les activités de l’entreprise sont fortement dépendantes du système d’information, surtout les métiers d’entreposage et à valeur ajoutée, pour lesquels nous avons des clients dans des secteurs très divers : agroalimentaire, distribution, électronique, automobile, parfumerie…

FM2i est la direction des systèmes d’information du groupe, pour la définition, la gestion et le pilotage des systèmes d’information, ainsi que le prestataire international de services grâce à ses trois centres de services basés en France (Phalsbourg), en Pologne (Varsovie) et en Russie (Moscou).

Dans nos métiers de logisticiens, pour préparer chaque palette, le système d’information est incontournable pour identifier les quantités de matières, le nombre de clients et le nombre de références. Surtout, lorsqu’il faut livrer cent mille palettes, pour l’exécution (telle palette, tel lot), la traçabilité (où prendre les produits, comment et où les livrer) et la préparation (choisir tel lot par rapport à un autre) !

Comment s’organise la DSI ?

Eric Sand La DSI est rattachée à un membre du conseil d’administration, donc au plus haut niveau. Notre organisation regroupe cinq entités : trois centres de services, par zones géographiques (Europe de l’Ouest, centrale et de l’Est), un centre de développement en Ukraine, pour le développement et la tierce maintenance applicative, et une direction de l’organisation des systèmes d’information, pour la gestion des infrastructures, les progiciels (progiciel intégré, ressources humaines, portails) et le management global des SI (urbanisme, architecture, sécurité…).

Au total, la DSI regroupe 170 collaborateurs, aucun n’étant en régie ou prestataire sur site. En termes d’infrastructures, nous gérons 3 200 postes de travail, un millier de terminaux radio/vocaux et 64 serveurs de production distribués. Pour les applications, nous avons au minimum deux applications « core business » différentes par métier (progiciels et logiciels développés en interne).

Nous gérons beaucoup de développements différents, avec 400 livraisons par an (hors livraison de corrections de bogues) par le centre de services basé à Phalsbourg.

Concernant les relations avec la maîtrise d’ouvrage, dans la mesure où le système d’information est en grande partie décentralisé et « adapté » pour les besoins de nos clients, les patrons de business units sont responsables du bon fonctionnement de leur activité, de leur résultat et de la satisfaction de leurs clients…

Ils peuvent donc, en partie, choisir, demander, obtenir, payer des outils technologiques qui leur permettent de mieux faire fonctionner leur activité, d’améliorer leurs résultats et la satisfaction de leurs clients.

Comment est née la démarche de refacturation des produits et services ?

Eric Sand La démarche de facturation est née d’une initiative de la DSI, en 2000. Tout d’abord, nous avons commencé par facturer le plus simple : les postes de travail et les développements spécifiques, comme l’aurait fait une SSII, sur la base d’un prix de journée.

Le reste des coûts a été facturé selon le principe de « management fees », en fonction de l’importance des business units. Mais nous n’avons pas, dans un premier temps, totalement formalisé cet aspect. En 2001, nous avons initié la facturation de l’ensemble des produits et services.

Nous avons présenté nos réflexions aux directions métiers et les réactions ont été positives. Notre directeur général a d’ailleurs estimé qu’il ne s’agissait pas d’une « évolution » mais d’une « révolution ». Nous facturons directement les business units utilisateurs, pas les directions métiers. Nous facturons chaque site et nous éclatons la facture selon les clients.

Concrètement, nous avons procédé en quatre étapes. La première consiste à identifier les produits (applications ou matériels) et les services associés (administration, support…) qui sont fournis ou produits par la DSI, et peuvent être totalement ou en partie managés par les entités métiers.

Il faut ainsi prendre en compte à la fois les applications (logiciels existants, support utilisateur, par exemple le besoin d’un support 24 heures sur 24, développements spécifiques), les infrastructures (choix du poste de travail, du débit de réseau, problématique de gestion des flux d’informations), et les autres services tels que la formation de nouveaux utilisateurs (par la DSI ou les utilisateurs de références dans les directions métiers), ou encore des prestations de conseil et d’accompagnement.

La deuxième étape consiste à identifier les sommes dépensées. On s’intéresse à la fois aux applications et aux infrastructures. Pour les applications, nous prenons en compte des éléments tels que les salaires des concepteurs, des développeurs, des testeurs, les coûts des moyens de développement (licences, langages, serveurs, PC), les coûts de structure (loyer, énergie, téléphone…) et les coûts divers (management fees, coûts communs de la DSI…).

La mise en place d’un suivi des temps avec la même logique (licence, maintenance, administration, développement à la journée…) permet à la DSI de savoir si elle fournit les services pour lesquels elle est payée ! Pour les infrastructures, nous prenons en compte les coûts d’achat des matériels, d’acquisition et de maintenance des licences (outils bureautiques, antivirus…), le coût de l’équipe bureautique et d’administration, ainsi qu’une répartition du coût de l’équipe hot-line (clé de répartition en fonction du taux de résolution) et de la facture globale Internet.

La connaissance des périmètres n’est pas un exercice complexe et il n’y a pas besoin de compter à l’unité près. D’ailleurs, il est extrêmement difficile pour tout DSI de connaître exactement le nombre de postes de travail dans son entreprise ! On sait qu’il y a toujours une marge d’erreur : l’essentiel est de facturer.

Troisième étape : calculer les tarifs, en fonction de critères tels que les coûts fixes et les coûts variables, les unités de facturation, le nombre d’unités et les tarifs unitaires (par exemple coût par PC, par licence…).

Dans ce domaine, je conseille de différencier les petits et les gros consommateurs d’informatique, qui n’ont pas les mêmes problématiques ni les mêmes besoins. Par exemple, nos tarifs de licences sont indexés sur la taille des entrepôts, lorsqu’il faut mettre en place des dispositifs de traçabilité avec les numéros de série des produits, la licence est facturée 20 % en plus du tarif de base, et lorsque les terminaux radio ne sont pas utilisés, la réduction appliquée est de 5 %.

Par ailleurs, les tarifs doivent répondre à trois contraintes : d’abord, être compréhensibles (et gérables) par les directions métiers, ensuite, être conçus dans une logique de marché, de façon à faciliter le benchmarking et, enfin, être cohérents avec le niveau business et le niveau de consommation des ressources.

Il faut donc travailler sur des unités d’œuvre les plus proches possible des métiers de sorte que les tarifs varient de manière cohérente. La responsabilité de la DSI est de fournir les meilleurs produits aux meilleurs prix !

Enfin, la quatrième étape porte sur l’analyse de l’impact du système de facturation sur le budget de la DSI mais aussi sur les budgets des utilisateurs.

Si l’écart est trop important, les clients internes vont difficilement adhérer à un système de facturation. Il faut, en fait, adapter les tarifs aux coûts antérieurs, l’objectif reste, pour la DSI, de se créer le moins possible d’ennemis.

Il importe de procéder par itérations, afin d’avoir le moins possible de clients insatisfaits, des coûts en relation avec le système d’information existant et les besoins des directions métiers, de couvrir les coûts de la DSI et de proposer des tarifs cohérents avec la stratégie de l’entreprise. En d’autres termes, la DSI doit être réaliste, honnête et alignée. Le meilleur tarif n’est pas le plus juste mais celui qui remporte l’adhésion des directions métiers.

Pourquoi ne faut-il pas faire de bénéfices ?

Eric Sand Nous ne refacturons pas pour gagner de l’argent mais pour progresser. Il faut éviter de gagner de l’argent sur le dos des utilisateurs, c’est une source d’ennuis et de discussions sans fin et les relations avec les clients internes se compliquent très vite. Cela évite également de rembourser les clients internes s’il arrive que les conventions de services ne soient pas respectées.

L’objectif est avant tout que les métiers comprennent leurs coûts et les maîtrisent : l’avantage d’une démarche de facturation est de responsabiliser les maîtrises d’ouvrage.

Le schéma de facturation a été conçu et mis en place en trois mois, sans l’aide de consultants externes, et les directions métiers ont parfaitement compris que si elles consomment moins de ressources, elles paieront moins, alors qu’auparavant, le coût était le même quelle que soit la consommation.

Si l’on n’est pas bon, il faut devenir meilleur que le marché. Nous facturons les coûts réels et lorsque l’on est plus cher que le marché, il faut s’aligner.

Comment prendre en compte les investissements nécessaires pour innover ?

Eric Sand Pour les grands projets, il y a un budget spécifique. On peut augmenter les prix refacturés aux directions métiers si l’on investit, c’est un modèle similaire à celui des éditeurs de logiciels qui financent ainsi leur recherche et développement.

Au-delà de la fixation des prix, comment faites-vous pour expliquer ce qui est vendu ?

Eric Sand Il faut associer aux tarifs deux éléments importants : d’une part, une description claire et compré­hensible des produits ou services. Par exemple, on ne parlera pas de « licence » mais de « droit d’usage du logiciel », pas de « maintenance » mais de « mise à disposition des patchs correctifs et des évolutions de versions », pas de « support utilisateurs » mais de « permanence téléphonique d’assistance aux utilisateurs ».

De même, pour la TMA (tierce maintenance applicative), il est préférable d’expliquer qu’il s’agit de télédépannage, de correction et d’adaptation en cas d’évolution du produit ou d’évolutions technologiques, ou de surveillance des environnements (contrôle de cohérence des données), de conseil et de préconisation de solution.

D’autre part, il importe de fixer des engagements de la part de la DSI. Par exemple : « Nous nous engageons à prendre en compte les fiches incidents urgentes sous 5 jours dans 95 % des cas, nous nous engageons à livrer un patch correctif sous 5 jours. »

En matière de développement, « nous nous engageons à répondre aux demandes de devis dans un délai de 10 jours ouvrés pour 90 % des demandes et à livrer les développements au jour J indiqué dans le devis dans 85 % des cas. »

Comment faire vivre la démarche de facturation ?

Eric Sand Après la construction du catalogue de services, il faut bien sûr le « vendre », ainsi que les engagements de services, à la fois à la direction générale et aux patrons des métiers. Le catalogue doit aussi être mis concrètement en application, ainsi que les engagements de services, sous forme de « factures » mensuelles, afin d’être le plus proche possible de ce qui est installé. Il faut aussi suivre et communiquer le tableau de bord de suivi des engagements de services.

Régulièrement, je conseille de tirer le bilan de l’application du catalogue et des engagements de services, en identifiant notamment les difficultés rencontrées par les utilisateurs. L’objectif est de faire évoluer le catalogue et les engagements de services. L’idée est de passer d’une vue interne (couvrir les coûts de la DSI) à une vue externe, pour proposer des produits et services de meilleure qualité que le marché et/ou avec un meilleur prix que le marché.

Quel bilan tirez-vous de cette démarche ?

Eric Sand La facturation donne de la force à la DSI qui peut jouer sur la logique de facturation et le niveau de prix. Elle positionne la DSI vis-à-vis de la DG comme bon gestionnaire et comme partie prenante de la recherche de compétitivité.

En quatre ans, sur certains dossiers, nous avons réussi à diminuer jusqu’à 47 % nos montants facturés et nous avons constaté une réduction parallèle du coût du système d’information par palette envoyées aux clients, indicateur que nous mesurons régulièrement. De même, nous avons obtenu une réduction de 27 % sur le ratio IT/chiffre d’affaires durant la même période.

Le principal effort n’est pas de construire les grilles de facturation mais de décider de le faire. Et il est souvent difficile pour la DSI de franchir la marche du benchmarking.

En d’autres termes, de passer d’une logique où les tarifs sont obtenus en divisant les coûts par le nombre d’instances à facturer à une logique où les tarifs sont définis par le marché.

En fait, la facturation permet de se comparer sur des éléments plus « pertinents » que le simple ratio IT/chiffre d’affaires et de voir sur quels produits ou services la DSI est compétitive ou non par rapport au marché. Ou l’on s’améliore, ou l’on sous-traite !

La démarche de refacturation permet de changer les comportements. Par exemple, auparavant, les directions métiers venaient voir la DSI en disant : « J’ai un nouveau client, je veux un nouveau serveur… »

Désormais, le discours est tout autre : « Je voudrais que vous optimisiez mon parc de serveurs… », entend-on le plus souvent. Nous sortons donc du discours que nombre de DSI entendent, avec des interpellations de type « ça ne marche pas… je n’ai pas de réponse… c’est trop cher… ailleurs c’est mieux… ».

Le partage des rôles s’en trouve clarifié : la DSI est responsable de la qualité des ses produits (limiter le nombre de bogues), du niveau de service qu’elle fournit (respect des engagements de services) et du niveau de prix associé.

Pour leur part, les maîtrises d’ouvrage sont responsables du contenu des produits (choix des fonctionnalités à développer), du nombre des produits et services qu’elles consomment (gestion du budget) et de l’usage qu’elles en font (performance opérationnelle).


Quelques exemples de postes de facturation

  • Service desk
  • Support de proximité
  • Administration des infrastructures
  • Support fonctionnel
  • Architecture des postes
  • Gestion de parc
  • Management transverse des systèmes d’information
  • Matériels
  • Logiciels
  • Espaces de stockage
  • Accès intranet
  • Accès Internet

Les Best Practices d’Eric Sand

  • Adoptez un découpage de vos produits et/ou services à l’identique du marché (par exemple : licence, maintenance, administration).
  • Facturez vos produits et/ou services à partir d’unités d’œuvre cohérentes avec la charge informatique et compréhensibles et/ou gérables par le métier (par exemple : nombre d’utilisateurs, nombre de véhicules, taille du parc…).
  • Travaillez en équipe avec le contrôle de gestion.
  • Évaluez et suivez dans le temps l’impact de ce nouveau mode de facturation sur les budgets des métiers.
  • Les « meilleurs » tarifs ne sont pas forcément les plus justes, mais ceux qui sont à la fois cohérents avec les ressources IT consommées et dont l’impact est acceptable dans les budgets des métiers.
  • Établissez une « facture interne » claire qui permette au métier de valider le nombre d’unités d’œuvre et le montant de sa facture.
  • Ajustez périodiquement votre facture interne au nombre réel d’unités d’œuvre.
  • Associez à la facturation de vos produits et/ou services des engagements de services et communiquez sur vos résultats (financiers et qualités des prestations).
  • Ne vous montrez pas inflexible, et privilégiez l’établissement d’une confiance avec les métiers par rapport aux unités d’œuvre facturées et au niveau de service fourni, quitte à facturer un petit peu moins ou à avoir des indicateurs moins bons.
  • Faites évoluer votre catalogue en tenant compte à la fois des prix de marché à produits ou services équivalents et des demandes ou critiques des métiers.