Lean Six Sigma : ce que doit savoir un DSI

« Efficace et même magique parfois ! » : c’est ce que me répondit un responsable de la sécurité des systèmes d’information d’une grande banque française lorsque je le questionnais à propos de la méthode Lean Six Sigma. « Cette méthode nous a permis de gagner 90% de temps sur un processus, on croyait cela impossible ! » précisa-t-il ensuite.

Cela est bien la preuve que le Lean Six Sigma, de ses origines industrielles (la méthode fut inventée par Toyota et Motorola) est passé dans l’industrie des services (General Electric, AXA sont des précurseurs dans l’adoption de la méthode) et vient désormais bousculer la DSI.

Au départ, le Lean cherche à éliminer les sources de gaspillages (sept au total) et à augmenter la capacité et la vitesse de production. Quant à Six Sigma, c’est une démarche analytique qui vise à améliorer la qualité (taux Six Sigma de qualité = 99,9997% soit trois pièces défectueuses par million d’unités produites) et réduire la variation des processus.

Combinée ensemble, ces deux méthodologies n’en font plus qu’une dont la promesse est de réduire les coûts et les délais tout en améliorant la qualité du produit ou du service rendu. Et ça marche !

La méthode Lean Six Sigma peut s’adapter à chaque situation. Son responsable, le chef de projet, est certifié, selon son niveau d’aptitude et son expérience. Cela est symbolisé par une ceinture (comme au karaté) : les fameux Green Belt, Black Belt et Master Black Belt qui sont les trois niveaux de certification reconnus mondialement.

Chaque « problème » que rencontre l’organisation donne lieu à un ou plusieurs projets suivant leur complexité. La résolution peut mener à des gains très rapides (une semaine) mais, d’une manière générale, un projet dure entre quatre et six mois et mobilise à plein temps un chef de projet (formé en interne ou consultant externe), et, à temps partiel, des compétences puisées dans le vivier des collaborateurs de l’entreprise confrontés au problème à résoudre ou pouvant aider à sa résolution.

Le DMAIC en anglais (ou DMAAC en français pour Définir, Mesurer, Analyser, Améliorer (Innovate), Contrôler) trace les étapes incontournables que le projet va devoir suivre. Chacune est sanctionnée par un jalon que valide le « sponsor » du projet (en général, le N ou N+1 de la solution recherchée).

Dans chaque étape, l’équipe projet réalise les opérations nécessaires. Le Lean Six Sigma n’est pas trop déroutant car on y retrouve des techniques et méthodes que connaissent les ingénieurs et les cadres pour mener à bien un ensemble d’opérations comme l’analyse des processus, des calculs statistiques et financiers, de gestion des risques, de benchmark, de problem solving et d’innovation, de capitalisation des connaissances…

Alors si je fais cela, je fais du Lean Six Sigma ? C’est un début, car la grande force de cette méthode est d’organiser l’ensemble de manière très opérationnelle.

Dans une démarche de Lean Six Sigma, pas de possibilité d’abandonner en cours de route ou de prendre des raccourcis : l’équipe s’engage et, en retour, le sponsor s’engage lui aussi. Un « mandat de projet » signé au démarrage fixe le cadre des actions et les exigences en termes de délais et de résultats. Pas de risque de « tunnel » non plus, car les étapes sont bien délimitées et les périodes de validation des jalons sont l’occasion pour l’équipe de communiquer sur les réalisations effectuées et d’annoncer les suivantes.

Pas de confusion : la mission est bien bornée et chacun à son rôle à jouer. Le management est ici essentiel. La « ceinture », garant de la méthode et du succès du projet, devra conduire une équipe ad’hoc vers les sommets… Participatif et transversal, le projet de Lean Six Sigma fait la part belle aux opérationnels, « ceux qui font ».

N’oublions pas que cela découle directement des cercles qualités mis en place chez Toyota. Focalisé sur les aspects concrets et pratiques, inspiré des pratiques japonaises et anglo-saxonnes, il incite à raisonner « out of the box » sur un objectif, dans un esprit constructif en utilisant des codes partagés (management visuel, mandat de projet).

Il permet également de responsabiliser les intervenants à tous les niveaux de l’entreprise en replaçant les problèmes face à ses vrais enjeux et par la diffusion de bonnes pratiques. C’est une forme efficace de culture du progrès qui s’instaure : une nouvelle amélioration capitalisant sur une ancienne déjà réalisée. Le projet s’arrête mais ses résultats inspirent à poursuivre dans la démarche ou tout au moins à maintenir le niveau atteint.

Pas de faux objectifs : le Lean Six Sigma est résolument orienté business : « Le but d’une entreprise est de gagner de l’argent », une évidence pour certains, mais savoir qu’on est membre d’un projet dont la finalité est de faire gagner de l’argent à l’entreprise, d’augmenter la satisfaction des clients, la fiabilité et la qualité de service, ainsi que la production, est déjà fédérateur.

L’intérêt du client (la « Voix du Client ») guide la démarche dès le départ, et se décline, suivant le besoin du projet et des parties prenantes externes et/ou internes à l’entreprise (clients, fournisseurs, partenaires, filiales, directions de centres de profits…).

Ainsi, il n’est pas rare qu’en cherchant à améliorer la qualité de service, un projet inclut la mise en œuvre d’un programme « incentive » à l’intention des fournisseurs, et agisse en amont et/ou en aval du processus de production de l’entreprise. Mais il est certain que l’entreprise en retirera un avantage fort en terme de valeur ajoutée de toute nature (finance, RH…). Air France, avec plus de 250 projets réalisés, estime ses gains à plus de 12,5 millions d’Euros.

Les DSI étaient peut-être plus éloignées du management des processus industriels, elles sont, en revanche, en première ligne dans l’industrie des services. Elles disposent d’atouts importants pour déployer ces projets dont les enjeux sont inévitablement liés à l’usage du système d’information et les capacités d’innovations issues des TIC (au sens large : bio, nanotechnologies…).

En s’affichant comme sponsor de la démarche, la DSI dispose d’une expérience légitime sur les fondamentaux des projets (et leurs dimensions systémiques et transversales), l’utilisation et la mise en œuvre des outils, l’association des métiers, la conduite du changement, l’innovation.

Il est, par exemple, possible de combiner le Lean Six Sigma avec les exigences d’une démarche ITIL, comme à d’autres liés à la qualité, l’environnement… La démarche de Lean Six Sigma s’envisage très bien comme un référentiel de pratique commun dans la conduite des projets. Des projets d’ERP, de CRM, de BI semblent également bien indiqués pour utiliser l’approche proactive, le « design for Lean Six Sigma » où la méthode agit dès la conception des processus.

Des éditeurs de logiciels en pointe suivent les évolutions du marché. Minitab pour les statistiques est devenu un incontournable dans ce métier, et dans le segment du BPM (Business Process Management) la suite d’outils Aris (IDS Scheers) peut embarquer désormais une suite d’outils dédiés à l’analyse des processus qui ont été cartographiés, et permet de réaliser des scénarios. Elargissant ainsi l’horizon de ces outils à de véritables aides au pilotage, bientôt en temps réel. Et pourquoi pas ?

Mouvement encore émergent en France, le premier « Lean Summit France » a eu lieu à Lyon en 2008 attirant quelques 300 personnes. Le chapitre français du réseau Lean Six Sigma, présent dans 14 pays du monde, existe depuis un an.

Uniquement accessible en formation continue, les certifications demandent à être complétées par de l’expérience terrain et s’adressent plutôt aux ingénieurs. Ces formations sont encore très peu nombreuses, par exemple l’Ecole Centrale Paris a démarré des modules de formation au Lean Six Sigma en octobre 2008.

L’ENST de Paris, l’institut Lean France et Fujitsu, ont fondé en octobre 2008 la première communauté autour du Lean et des Systèmes d’information. Au Cigref, dont plusieurs membres DSI utilisent le Lean Six Sigma, s’il n’y a pas encore eu de travaux sur ce sujet, il y a une certaine marque d’intérêt pour cette approche également issue des bonnes pratiques des entreprises mondiales.

Et la période de crise actuelle se prête bien à l’essor d’une telle méthodologie pour mener la chasse aux pertes et trouver des solutions innovantes. Pour vous en convaincre, lisez donc « The Goal ». Le héro du livre, directeur d’une usine, réalise son parcours initiatique vers le Lean Six Sigma (avant la lettre).

L’usine promise à la fermeture sera sauvée et le modèle fera école au sein du groupe auquel l’usine appartient. Hormis ce scénario légèrement romanesque, c’est la restitution des situations de travail typique et l’illustration très réaliste des avantages de la méthode qui font l’intérêt d’un livre devenu un best-seller mondial.

Cet article a été écrit par Jean-Pierre Merland.