Les cent premiers jours du DSI, regards croisés

Un système d’information trop cher, dont les DG ne veulent généralement pas entendre parler, des exigences de réduction des coûts, des obligations de sécurité… Pour faire face à ces défis, le DSI doit être pourvu d’une force sérieuse de conviction. Surtout lorsqu’il s’agit de s’installer dans un nouveau poste !

L’expérience de Christian Pilaud, ex-DSI d’Accor Services, et les recommandations de Dario Tarantelli, fondateur du cabinet de conseil Ekara(*).

Que doit faire un DSI lorsqu’il arrive dans l’entreprise qui vient de le recruter ?

Christian Pilaud Le métier de DSI a considérablement évolué. Nous sommes passés, en quelles années, de préoccupation essentiellement techniques (l’enjeu est que le système d’information fonctionne au quotidien, dans une approche de type « usine ») à des enjeux de direction d’entreprise, dans un contexte de transformation.

Passer de la technologie au management du changement reste un processus souvent conflictuel, subtil, long et le DSI doit tenir dans la durée pour voir ses efforts récompensés. Dans l’entreprise dans laquelle le nouveau DSI arrive, ces responsabilités de transformation ont généralement trouvé peu de sponsors. Personne n’a osé, et il incombe au DSI de l’incarner.

Faire en sorte que le changement se produise avec succès malgré les inévitables oppositions et résistances suppose d’identifier tous les acteurs : ceux qui soutiennent le changement, ceux qui résistent, pour les faire adhérer, et se chercher des alliés. Avec diplomatie… Bien sûr, des enjeux différents de transformation vont dicter des comportements différents. Comme tous les collaborateurs de l’entreprise, le DSI doit savoir adapter le sien !

Beaucoup de collaborateurs n’ont connu qu’une seule entreprise dans leur carrière professionnelle et pensent qu’il n’y a qu’une seule organisation possible. Certes, ils ne sont pas de mauvaise foi mais, les faire adhérer au changement est très difficile.

Pour un DSI, les compétences de management et de « commerce » sont indispensables, avec des capacités d’écoute, pour mieux comprendre les vrais enjeux et discerner ce qui n’est a priori pas toujours visible, et comprendre, bien sûr, les jeux de pouvoir entre les personnes. En se souvenant toujours qu’en moyenne, c’est au bout de quatre ans que le DSI est écarté de son poste !

Dario Tarantelli Les situations à l’arrivée du nouveau DSI peuvent être très diverses d’une entreprise à l’autre. Par exemple, les enjeux seront très différents s’il s’agit de créer un centre de services partagés pour mutualiser des activités jusque-là localisées dans différentes entités opérationnelles, de s’adapter à une nouvelle stratégie de l’entreprise, de réaliser la fusion entre des services informatiques d’entités différentes, ou simplement d’assurer la continuité en douceur par rapport à la situation actuelle (bien qu’il semble que cette situation soit peu fréquente sur le terrain).

Pour mobiliser ses équipes, le DSI devra s’assurer de l’appropriation des finalités et des moyens prévus par l’ensemble des managers et des collaborateurs. Par ailleurs, il faudra développer et déployer de nouveaux comportements. Ce sera un facteur-clé pour atteindre les résultats.

Christian Pilaud L’arrivée d’un nouveau DSI suscite toujours des inquiétudes. D’une part, en interne, dans la DSI, dans la mesure où les équipes perçoivent qu’elles vont être « challengées » et devoir s’adapter à l’occasion de cette arrivée.

D’autre part, à l’extérieur de la DSI, dans la mesure où les utilisateurs savent que le changement de DSI va également avoir un impact sur leur vie quotidienne dans l’entreprise, à plus ou moins brève échéance. Lorsque le DSl arrive dans un nouveau poste, sa crédibilité est associée tout d’abord à l’ensemble de ses compétences personnelles et à son comportement.

La première tâche d’un DSI est de se présenter et de mettre en avant ces compétences. Ce qui revient revient à se vendre auprès de tous les interlocuteurs dans l’entreprise. Cependant, il convient de prendre deux types de précautions. D’abord, il faut demeurer prudent vis-à-vis du soutien de la direction générale, ne pas l’affirmer ouvertement.

En effet, le DSI peut être perçu que comme délégué par celle-ci pour redresser une situation difficile. Il faut donc personnaliser le débat, affirmer ses convictions et expliquer quels sont les principes d’action et quelles en sont les conséquences.

Ensuite, s’il est nécessaire de « prendre son bâton de pèlerin » et de rencontrer un maximum de personnes, il ne faut pas céder à la tentation de rencontrer directement les utilisateurs en court-circuitant leur hiérarchie.

Y-a-t-il des différences selon les entreprises ?

Christian Pilaud ’approche est moins liée au niveau de maturité de l’entreprise ou à sa taille qu’à son organisation, selon qu’elle privilégie pour son système d’information la concentration, le fédéralisme ou la répartition des pouvoirs.

Quel est le principal obstacle auquel le DSI doit faire face ?

Christian Pilaud C’est avant tout celui de l’incompréhension. Il faut en effet mesurer l’écart de compréhension entre, d’un côté, la mission assignée au DSI et, de l’autre, la capacité de toutes les équipes à comprendre la même chose. On construit ainsi une sorte de « radar », avec les attentes de la DG, les besoins des utilisateurs et les capacités internes à les satisfaire.

Cela permet d’identifier les incohérences et de s’aligner. J’observe que les entreprises usent beaucoup de DSI du fait de désaccords entre les directions générales et ce que souhaitent les métiers. Le DSI trouvera un grand avantage (et un certain recul) à se faire accompagner par une personne externe d’expérience.

Ce n’est pas du coaching individuel en ressources humaines, mais un accompagnement de conseil opérationnel dans le cadre des métiers des systèmes d’information, de leur organisation et de la communication avec la DG et les clients. Les directions générales comprennent qu’elles ont besoin de technologies et que c’est compliqué à gérer.

Le rôle du DSI est de faciliter cette compréhension. Or, quand il exprime sa demande, le directeur général est souvent dans un mode de « réaction », suite à certaines difficultés dans l’entreprise avec le système d’information. C’est souvent ce qui préside au choix du changement de DSI. Au cours de mes différents postes de DSI, je n’ai jamais vu une organisation où les enjeux sont précisément décrits, avec les implications en termes organisationnels.

Les enjeux sont davantage décrits en termes de résultats. Pour résumer, un DSI a, hors missions de management, trois missions opérationnelles : garantir l’excellence opérationnelle, baisser les coûts et gérer les risques.

La première mission du DSI, faire fonctionner le SI, est-elle la plus difficile ?

Christian Pilaud Non, pas forcément. Si la seule mission du DSI est de « faire fonctionner le SI », il peut obtenir dix ans de relative tranquillité, surtout s’il n’a pas de pression pour faire diminuer les coûts !

Mais lorsqu’il arrive dans un nouveau poste, si le système d’information ne fonctionne pas correctement, le DSI doit d’abord s’attaquer à ce problème avant de passer à autre chose. Le DSI doit aussi comprendre la pyramide de Maslow de son entreprise : si les besoins de fonctionnement au quotidien ne sont pas satisfaits, on ne peut passer à l’étape suivante.

Il est de toute façon impossible de tenir un discours sur le changement : la direction générale et les directions métiers vont demeurer focalisées sur le fait que « ça ne marche pas ! ». La première étape est donc d’auditer techniquement tout ce qui peut l’être et de (re)prendre le lien avec les fonctions métiers et la DG. Il faut absolument infléchir la courbe d’insatisfaction perçue des utilisateurs. Lorsque, pendant « un certain temps », aucun problème technique ne survient, et que les ponts sont rétablis avec les clients internes, alors on peut faire évoluer le discours.

Dario Tarantelli « Il faut que cela marche » relève de la perception. L’important, c’est ce que disent les « clients internes » de la DSI, c’est-à-dire les managers des activités clientes et la direction générale et, plus généralement, le comité de direction. Nous sommes dans le domaine de la perception et non uniquement des indicateurs !

Dans les entreprises, ce domaine est géré par une force commerciale. Il n’y a jamais de client satisfait s’il n’y pas, côté prestataire, une démarche commerciale qui veille à écouter le client, à prendre en compte ses attentes et demandes et qui s’assure que les résultats sont obtenus.

Il est donc essentiel d’être en contact intime avec ses clients internes. Pour des petites structures, c’est le DSI que devra jouer ce rôle avec éventuellement l’aide de certains collaborateurs, dans des structures plus importantes, il faudra créer un rôle spécifique (Account Manager).

Les directions des systèmes d’information ne sont généralement pas habituées à gérer une vraie relation client. La tentation est de dire : « Lorsque nous serons efficaces, quand nous aurons des indicateurs de bon niveau, alors nous irons voir les clients. » Imagine-t-on, quand nous sommes clients, que notre prestataire ne vienne pas nous voir, alors que nous sommes insatisfaits ?

On pense généralement que le « commercial », c’est parler beaucoup. En réalité, c’est d’abord savoir écouter. Les clients de la DSI ont souvent le sentiment de n’être ni écoutés ni compris. Il est essentiel d’écouter et de comprendre les attentes des clients internes.

On peut dès lors se poser deux questions essentielles : y a-t-il des réunions régulières avec les clients internes pour connaître leur niveau de satisfaction, leurs priorités pour la période à venir, leurs attentes ? Y a-t-il des contrats de service formalisés ? Les clients internes ne sont pas toujours très moteurs car tant qu’il n’y a pas de contrat de service, tout dysfonctionnement peut être critiqué, alors que quand un contrat est établi, des tolérances sont fixées au niveau des services et certaines attentes clés de la DSI vis-à-vis du client interne peuvent être exprimées.

Que répondre à l’argument : « Le système d’information coûte trop cher ! » ?

Christian Pilaud C’est une affirmation courante qui repose sur une perception. Pour avancer, en général, on mesure le ratio pourcentage du budget système d’information par rapport au chiffre d’affaires. Mais quel est l’optimum ? Personne ne sait le dire ! Alors, dans la grande tradition antique, on consulte les oracles-cabinets d’études tels que Gartner ou Forrester.

Si le ratio de l’entreprise est au-dessus de ce que mesurent les cabinets d’études, c’est trop, si c’est en dessous, l’entreprise accuse un retard. C’est une vraie tarte à la crème, et aussi un passage obligé, dans les relations entre les DSI et les directions générales.

Que constate-t-on en règle générale ? Que sur la partie « usine » du système d’information, les coûts diminuent régulièrement : pour l’infrastructure, on atteint des baisses de 2 à 4 % par an. Avec l’accroissement parallèle des volumes, on peut amplifier cette baisse. Les coûts du « Run » des projets suivent cette même évolution.

La problématique des coûts de développement (« Build » de nouveaux projets applicatifs et maintenance évolutive) soulève deux questions : d’une part, comment comprendre mieux le besoin du client ? Sur ce point, majeur, on aura tout intérêt à investir et, donc, les coûts augmentent parce qu’il faut davantage de chefs de projets, d’analystes et un processus de relation client organisé. D’autre part, comment développer la solution demandée par les métiers ? Dans ce domaine, on peut trouver des solutions d’organisation qui permettent de réduire les coûts.

Toutefois, il n’existe pas de solution miracle ! Je voudrais enfin aborder deux sujets très importants : le portefeuille de projets qu’il faut savoir prioriser et arbitrer en comité de direction, et les mesures de performances. Les DSI qui ne mesurent pas leur capacité à fournir ne peuvent pas s’en sortir.

C’est cette mesure qui sert de base à la communication avec les clients, et qui, bien sûr, doit être construite sur des indicateurs métiers reconnus par tous, et non pas informatiques à usage des seuls informaticiens !

Dario Tarantelli Dans les coûts de la DSI, nous devons distinguer deux parties. La première concerne le coût des développements informatiques et des évolutions du patrimoine applicatif (le « Build »). Cette partie est considérée comme ayant une valeur visible des clients internes.

Les attentes des clients internes portent rarement sur une demande de réduction de ces coûts. Au contraire, pour un budget global donné de l’informatique, l’enjeu est souvent de réduire les coûts du « Run » pour maximiser la part du « Build ». Il arrive qu’une insatisfaction soit liée au fait que les projets sont longs (time to market prévisionnel) et qu’ensuite ni les délais annoncés ni les budgets ne soient respectés.

La seconde concerne le « Run ». Les budgets sont souvent diminués par les directions financières et comme les équipes du « Run » éprouvent des difficultés à mettre en évidence leur plan de charge, elles ont du mal à proposer des arbitrages pour être en conformité avec le budget (donc renoncer à des activités).

Si l’on ne renonce à rien, les équipes se mettent en surcharge car l’activité n’a pas diminué (mais les ressources ont, elles, baissé). Comme les équipes, en général, ont le sens du dévouement, elles travaillent plus pour atteindre les résultats et y parviennent. La direction financière en déduit qu’elle a bien fait de baisser le budget de manière « volontariste » et continue…

S’installe alors une spirale négative qui démobilise les collaborateurs. Le problème vient de ce que l’on regarde le coût des activités sans le mettre en regard du volume de ces activités. Les métiers ne voient pas nécessairement l’ensemble des activités que cela recouvre et donc les critiques sur les coûts élevés se focalisent souvent sur cette partie.

D’autant plus que le périmètre à traiter augmente en général année après année et que la DSI est désarmée pour mettre en évidence les efforts d’amélioration de la productivité. Pour traiter cette problématique, utiliser l’approche préconisée par le Cigref (ABC : Activity Based Costing) pour les coûts des activités et des services de la DSI est tout à fait pertinent, surtout qu’elle permet de se comparer à d’autres organisations.

Comment traiter la problématique de gestion des risques ?

Christian Pilaud La plupart des managers d’entreprise ne comprennent pas comment fonctionne un système d’information.

C’est une boîte noire qui fait encore peur. En revanche, ces managers comprennent que le contenu des produits et des services devient de plus en plus technologique. On passe donc du risque proprement technique avec impact réduit, au risque d’entreprise, avec un impact potentiel sur les client et sur l’image de l’entreprise.

Si la technologie n’est pas maîtrisée, cela introduit des zones d’inquiétude, précisément parce que les managers n’ont pas prise sur la complexité du système d’information. Cette inquiétude peut être partagé à l’intérieur de l’entreprise, et aussi sur le marché.

La DSI doit expliquer en permanence, en distinguant le risque interne à la DSI, le risque pour l’entreprise et le risque pour les clients. Il faut expliquer à la direction générale, aux directions métiers, faire comprendre et rassurer, « en français et en couleurs ».

(*) Christian Pilaud a été DSI Europe de Carrefour, DSI du Club Med et était jusqu’en juin 2010 DSI d’Accor Services. Dario Tarantelli est fondateur du cabinet de conseil Ekara.


Les best practices

  • Rencontrer rapidement l’ensemble des clients internes (comité de direction) et les écouter pour analyser leur perception actuelle de ce qui va bien, de ce qui devrait évoluer, de leurs enjeux et de leurs attentes vis-à-vis de la DSI à propos de ces enjeux.
  • Évaluer les comportements de l’ensemble des collaborateurs de la DSI notamment sur le thème « sens du service au client » (connaissent-ils les attentes ? les considèrent-ils légitimes ?…).
  • Examiner et, si nécessaire, revoir la gouvernance opérationnelle de la relation avec les clients internes.
  • Développer une véritable démarche commerciale.
  • Mettre en place une démarche d’évaluation du portefeuille des demandes.
  • Mettre en place une gestion de plan de charge (prévisions et réalisé).
  • Revoir la méthode de conduite de projet. Elle est peut-être trop lourde, peu respectée et pas suffisamment pilotée par la maîtrise des risques. Il faut simultanément simplifier, maîtriser les risques et s’assurer que les méthodes sont bien appliquées (appropriation par les acteurs).
  • Si les projets sont souvent en retard et les coûts dépassés, il y a sans doute de bonnes raisons qui peuvent tenir au système et à la culture. Ne pas négliger d’explorer les aspects culturels.
  • Mettre en place un système qui permet de rapprocher le ratio coûts/volume des activités à traiter.
  • La gestion efficace du portefeuille de projets/demandes nécessite une gestion adaptée du plan de charge pour faire en sorte que les projets retenus soient effectivement réalisables avec les ressources disponibles (planification).
  • Si les changements sont importants, identifier au plus vite les aspects culturels et lancer un projet de transformation intégrant appropriation et gestion du changement.
  • Même si les changements ne sont pas très importants, veiller à l’appropriation par le management : partage de la vision, du point de départ, du chemin à parcourir et des chantiers pour le parcourir. Si ce chantier n’est pas rapidement lancé, cela devient très difficile a posteriori.
  • Un des enjeux clés est : qui décide des projets/évolutions qui seront retenus ? Il est essentiel de gérer le portefeuille des demandes de telle sorte qu’il y ait :- une démarche structurée pour établir la priorité des projets en fonction de la valeur apportée à l’activité de l’entreprise ;

    – une gouvernance adaptée pour que les décisions de faire ou ne pas faire soient bien prises par les métiers et non par l’informatique.

    – Intégrer les risques liés à la réalisation des projets et à la fourniture des services opérationnels.

    – Élaborer une démarche de gestion des risques que les opérationnels puissent s’approprier et faire vivre.


Les trois temps de la démarche budgétaire de réduction des coûts

  • À volume identique à l’année précédente, valoriser le coût, qui sera donc nécessairement inférieur, suite aux actions de productivité lancées l’année précédente et en cours d’année.
  • Intégrer l’évolution des volumes à traiter, en tenant compte du fait que la capacité de production permet d’absorber une évolution de la demande sans augmenter les ressources.
  • Déterminer un plan d’action d’amélioration qui se traduit par une nouvelle réduction des coûts.