Les ERP sont-ils l’amiante des systèmes d’information ?

Louis Naugès, le 22 février 2008, écrivait un article dans lequel il comparait les PGI à l’amiante, produit miracle à un moment donné, calamiteux par la suite et très couteux à désinstaller. Il incitait ainsi les DSI, à s’interroger sur les PGI, du fait, de son point de vue, d’une part de leur rigidité ne permettant pas une réponse rapide aux évolutions concurrentielles des entreprises et d’autre part de complexifier le paysage applicatif en devenant un composant « en plus » de ceux existants.

Des articles du Sloan Management Revue, notamment de Cinthia Rettig, et du Nucleus Research étaient cités en renfort de ce point de vue. En 2011, pourtant les PGI sont toujours là… Sans polémique et dans un esprit de « propos raisonnable », reprenons ces deux points de vue.

Adaptabilité et innovation. Les SAP, Oracle, ont racheté, dans les quinze dernières années, les produits concurrents qui devaient les faire disparaitre ! EAI, CRM, Standard WEB, SOA et enfin BI se sont vus intégrer en tant que produit ou de savoir faire dans leur suite. Idem pour les nouvelles fonctionnalités : verticalisation, mobilité, personnalisation, réseaux sociaux sont déjà présent dans les versions récentes ou en cours de développement.

La concentration, effective pour les plus grands et en cours pour ceux visant les PME, du marché des éditeurs leur donnent l’assiette suffisante pour financer ces développements. Bien sur, entre l’apparition d’une nouvelle techno, incarné par un produit innovant et son rachat ou intégration par un PGI il se passe quelques années, de 2 à 4, ce qui est la contrepartie de la stabilisation et de l’intégration.

Maintenabilité. PGI veut bien dire « Intégré » et une évolution du paramétrage ou des développements réalisés lors de l’installation initiale nécessitent la réponse à un besoin spécifique plus l’intégration avec les autres domaines. Ceci n’est certes pas instantané, mais pas plus pour les PGI que pour n’importe quelle autre technologie.

La réactivité n’est pas fonction de la complexité des nouvelles demandes mais du fait qu’elles s’inscrivent dans un portefeuille de demandes qui excèdent les ressources disponibles d’où le fameux back log des DSI qui effectivement consacre 70 % de leur ressource à la maintenance applicative et repose trop souvent sur des compétences aussi vieillissantes que certains des produits utilisés et customisés.

Mais oublions cet aspect et existe-t-il aujourd’hui une technologie qui supporte un système d’information intégré et apportant cette réactivité tant convoitée ? En termes de réactivité Excel et Access sont ce qui se fait de mieux! Sauf qu’il n’existe pas de système d’information reposant exclusivement sur ces outils. Le « Best of the Breed », donne plus de flexibilité mais moins d’intégration ! Les architectures ouvertes, certainement la plus belle des promesses du moment mais encore « en devenir ».

Un composant en plus versus la promesse de remplacer de nombreuses applications

Le constat d’un PGI qui ne remplace pas les applications existantes est par contre un constat d’échec. Mais ce ne sont pas les PGI qui en sont responsables ! Les causes en sont toujours les mêmes : un périmètre trop petit, soit organisationnel soit fonctionnel, qui ne permet pas la suppression des ex applications existantes et va donc accroitre la complexité. En un mot on confond Progiciel et PGI et Projet Technique versus Projet d’entreprise.

Les grands groupes, qui s’appuient sur une technologie de PGI depuis les années 1995, se retrouvent effectivement à la tête d’un « parc », généralement de l’ordre de la dizaine, du fait de stratégie d’autonomie de filiale, de pays, de business line et des rachats. Se pose, à nouveau, la question de la rationalisation de ces parcs versus les laisser proliférer.

Des articles MIT Sloan et de Nucleus fustigent l’atteinte partielle des « fantastiques » bénéfices, mis en avant. Par contre, la contribution à la transformation de l’entreprise et à l’amélioration de sa compétitivité est toujours reconnue et plusieurs de ces articles rappellent qu’il faut aller chercher les bénéfices sur les sujets de re-engineering des processus de travail, d’alignement et de benchmarking, d’introduction des centres de services partagés, de développement des supply chain internationale au-delà de la rationalisation et maitrise des couts cachés. En un mot une affaire de DG, pas de DSI, sinon on fait au mieux mais très vite on se satisfait de la reconduction de l’existant.

La recherche de justification d’un ROI financier qui soit directement imputable au SI est aussi très contestable. C’est la transformation des métiers qui apportent les bénéfices, pas le PGI lui-même. PGI est la traduction d’ « ERP » pour « Enterprise Ressource Planning » ce qui met l’accent sur la recherche d’une optimisation globale et non plus sectorielle, laquelle avait déjà été atteinte par les strates d’informatisation précédente. Optimisation globale versus sectorielle ça aussi c’est une affaire de DG !

Maintenant, la marche pour passer de l’entreprise silotée, à une entreprise maitrisant ces processus transverses est énorme et encore largement sous-estimée. La mobilisation des moyens et de l’attention des métiers nécessaire ne peut dépasser quelques années. Les évolutions sont donc incontournable, « le projet ERP » n’est pas une fin mais un début et la courbe en « W » de l’article « Diet that don’t work » du MITSloan Management Review illustre le cycle d’investissement, dé-sinvestissement, ré-investissement qui est la réalité du cycle de vie de tous les SI, s’appuyant sur des ERP ou non.

C’est juste que dans l’entreprise il faut équilibrer les priorités. La particularité avec les PGI c’est que jusque là il y avait un grand projets de SI tous les 15 ans principalement lancé pour faire face à une obsolescence technique qui mettait l’entreprise en danger. Aujourd’hui rare sont les SAP des années 1995 qui s’écroulent ! il faut aller chercher les raison d’être d’un nouveau projet dans un besoin métier ou surtout s’interroger sur une approche non plus de maintenance étroite mais de maintenance menée conjointement avec la rationalisation des parcs applicatifs.

Et l’amiante dans tout ça ?

Comme isolant c’était tout de même un produit miracle ! Aujourd’hui on n’échapperait pas à une analogie avec le nucléaire. Y a-t-il un danger caché des PGI ? Ils ont passé le cap des 20 ans d’existence on en connait les bénéfices et les préoccupations, je ne vois pas quelle funeste « surprise » pourrait se révéler maintenant ? Plus que le spectre du désamiantage encourageons la prochaine mutation de nos SI.

Ne nous trompons pas, une architecture permettant de disposer d’un système d’information intégré, adaptable, et optimisant la réutilisation reste « LE » but recherché par tous ! Dans nos métiers une technologie n’a jamais remplacé la précédente, la combinatoire en fonction des besoins représente le facteur clé de succès.

Notamment le couplage des PGI avec des progiciels d’exécution très pointus comme la gestion d’entrepôt à fort trafic est un excellent compromis et si des mécanismes et standards d’architecture facilitent l’intégration et la réactivité ce sera un vrai bonheur. Du reste les grands PGI se positionnent aussi en plateforme de Système d’Information, tout un programme.

Cet article a été écrit par Jean-Luc Deixonne, directeur de projets chez Capgemini et auteur du livre « Piloter le projet ERP » paru aux éditions Dunod. Ce livre présente comment transformer et dynamiser l’entreprise durablement par un système d’information intégré et orienté métier.