Les groupes du CAC 40 encore timides face au numérique

Les études sur la transformation numérique des entreprises se succèdent. La grande majorité mesurent des niveaux de maturité ou des indicateurs de progression selon certains critères. Pour compléter toutes ces données, nous avons souhaité mesurer ce qui n’a pas encore été réalisé par les études existantes : le degré d’alignement entre, d’un côté, les initiatives en matière de transformation numérique et, d’un autre côté, le discours autour de ces initiatives.

Nous avons choisi de nous intéresser aux groupes du CAC 40 et aux documents les plus institutionnels et officiels que sont les rapports annuels et les documents de référence, obligatoires pour toutes les entreprises cotées en bourse. Nous avons retenu l’hypothèse selon laquelle il devrait y avoir un alignement entre les actes et les paroles des directions générales. En principe, les entreprises les plus avancées dans le domaine de la transformation numérique doivent aborder les problématiques de systèmes d’information ET de numérique dans leurs documents officiels. Ces deux problématiques nous semblent indissociables. Selon ces deux critères, on peut identifier quatre groupes d’entreprises. Celles qui mettent suffisamment en avant ces deux problématiques, ce sont les entreprises les plus matures ; celles qui privilégient davantage le numérique et pas les systèmes d’information (elles ont probablement « pris le train en marche ») ; celles, peu nombreuses, qui, au contraire, insistent davantage sur les systèmes d’information au détriment du numérique ; celles, enfin, qui ne mettent aucune de ces deux problématiques en exergue dans leurs documents institutionnels. Après analyse de tous les rapports annuels et documents de référence des groupes du CAC40, nous avons identifié quatre comportements : les meneurs, qui ont franchi le pas du numérique, les prêcheurs, pour qui le numérique est un levier de croissance, les suiveurs, qui sont dans le peloton en expérimentant à plus ou moins grande échelle et les entreprises « grandes muettes », qui abordent très peu les problématiques SI et numérique.

Les initiatives numériques des groupes du CAC 40 se multiplient. Mais trouvent-elles pour autant leur relais dans le discours officiel, représenté par les rapports annuels et les documents de référence pour les actionnaires ? Hélas pas toujours.

On dit souvent qu’il y a du chemin de la parole aux actes. En matière de stratégie numérique des groupes du CAC40, l’inverse est aussi vrai.

Pendant longtemps, les technologies de l’information n’ont pas vraiment été un sujet stratégique pour les grandes entreprises, à quelques exceptions près. Avec la percée du digital, cette situation est en train d’évoluer. En témoignent ces mots de Vivek Badrinath, directeur général adjoint Marketing, Digital, Distribution et Systèmes d’Information du groupe AccorHotels, jusqu’à mi-octobre 2016 : « Le digital est au cœur de nos vies. La montée en puissance des plateformes de réservation en ligne, l’expression immédiate du feedback positif ou négatif des hôtes, l’émergence de nouvelles pratiques collaboratives ont changé la donne de notre métier d’hôtelier. Pour toutes ces raisons, le digital est aussi au centre de notre agenda stratégique. » Pour savoir ce qu’il en est aujourd’hui, nous avons choisi de passer en revue les rapports annuels et documents de référence des entreprises du CAC40 pour l’année 2015, afin d’étudier comment celles-ci parlent du numérique et abordent les enjeux liés à l’IT. Nous souhaitions valider le fait que les groupes du CAC 40 traduisent, ou non, dans leurs discours institutionnels, leurs stratégies en matière de numérique et de système d’information. En principe, il devrait y avoir une correspondance : une stratégie numérique ambitieuse se doit d’être expliquée aux actionnaires, aux clients, aux collaborateurs et à l’écosystème. Et l’on peut considérer que le rapport annuel et le document de référence (obligatoire pour les sociétés cotées) constituent des supports privilégiés incontournables.

Une prise de conscience

Première observation de notre enquête : environ trois entreprises sur quatre consacrent au moins un paragraphe au digital ou au numérique dans leur rapport annuel, témoignant d’une prise de conscience. Les termes « digital » et « numérique » apparaissent généralement dans un contexte positif : ils sont présentés comme une opportunité, un levier de transformation ou encore un facteur d’engagement des collaborateurs. Ainsi, selon Georges Plassat, PDG de Carrefour : « Dans notre économie mature, la technologie digitale marque un retour au service et remet le client au centre de notre métier. » Pour Bernardo Sanchez Incera, PDG adjoint de la Société Générale, « la révolution digitale ne modifie pas simplement les frontières, elle les supprime. Aujourd’hui, nos clients sont libres de choisir où et comment interagir avec la banque. » Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, aborde la révolution digitale comme un « puissant levier de transformation et de croissance pour le groupe », qui « modifie notre relation aux clients, nos modes de fonctionnement et de management. » De son côté, Henri de Castries, ancien PDG du groupe Axa, estime que « les nouvelles technologies représentent un fabuleux levier pour répondre à ces besoins émergents. Elles nous permettent d’enrichir notre offre, d’imaginer des relations différentes avec nos clients ». Enfin, François-Henri Pinault, PDG du groupe de luxe Kering, assure que « la sphère digitale est à la fois un véhicule puissant pour diffuser une image et une ressource clé pour encourager la loyauté du client, essentielle pour une croissance organique durable et saine. »

Le système d’information occulté par le digital

Nettement moins nombreuses, en revanche, sont les entreprises utilisant le mot IT ou des termes associés, comme « systèmes d’information », « ERP », « sécurité de l’information »… Cette différence dans le choix et la fréquence des termes employés n’est pas anodine. Même si la plupart des processus critiques des grandes entreprises reposent sur le système d’information, c’est globalement un non-sujet dans les communications destinées aux actionnaires. La règle qui semble s’appliquer ici s’apparente à « tant que personne n’en parle, c’est que tout va bien ».

Lorsqu’ils sont évoqués, les enjeux avec une connotation IT apparaissent plutôt dans les documents de référence, notamment dans la partie consacrée aux risques ou dans les stratégies de réduction des coûts. C’est le cas dans le rapport annuel du groupe LafargeHolcim, en train de finaliser sa fusion : « Pour parvenir à cet objectif (réduction des coûts), nous allons mettre en œuvre une organisation sur le modèle du lean et profiter de notre taille pour mettre en place des services et une IT partagés. » Chez Michelin, l’ERP et l’harmonisation des SI sont décrits dans les objectifs du plan de compétitivité. Chez Pernod Ricard, l’une des rares entreprises à donner la parole à un DSI dans son rapport annuel, Mathieu Lambotte, le DSI groupe, évoque ainsi le rôle de l’IT : « Elle remplit deux missions. La première : servir ses utilisateurs au bon coût. Cela se traduit concrètement par une réorganisation des manières de travailler, mais aussi par la mise en place de plateformes de travail collaboratives digitales. Notre seconde mission consiste à fournir des solutions IT pour améliorer notre compétitivité et maximiser le retour sur investissements des projets. »

Qui porte la transformation numérique ?

La plupart des PDG du CAC40 reconnaissent que les changements associés au numérique vont remodeler leur organisation, leurs activités et leurs pratiques. Pour accompagner cette transformation, plus de la moitié de ces entreprises ont fait le choix de désigner un ou plusieurs Chief Digital Officers (CDO). Généralement, ces nominations sont assez récentes, entre 2014 et 2016. Quelques-unes ont préféré confier le sujet à une fonction existante, comme chez Saint Gobain où c’est Claude Imauven, directeur des opérations et n°2 de l’organisation, qui endosse cette responsabilité. Dans une interview pour l’Usine Digitale, celui-ci expliquait : « Nous n’avons aucun poste labellisé chief digital officer, car l’on considère que le sujet est transversal et doit être investi par tous les directeurs généraux. »

En revanche, rares sont les entreprises dans lesquelles la DSI est ouvertement associée aux initiatives digitales, même si toutes possèdent un ou plusieurs DSI au niveau groupe. Par ailleurs, alors que le numérique prend de plus en plus de place dans le discours des dirigeants, dans quatre entreprises seulement, soit 10 % de l’indice, le DSI est membre du comité exécutif (Axa, Engie, Essilor, Schneider Electric). Cette proportion est à peine meilleure pour les CDO, avec 15 % d’entreprises seulement où ceux-ci siègent au comité exécutif. Pourtant, nous en sommes convaincus, les DSI ont un rôle majeur à jouer dans la transformation numérique. Même si « le digital ne s’arrête pas à l’IT » et « transcende toutes fonctions », comme l’écrit Antonia McCahon, CDO de Pernod Ricard, le socle sur lequel il s’appuie demeure, quoi que l’on en dise, le système d’information dans son ensemble.

L’adaptation du SI aux nouveaux enjeux conditionne à moyen terme le succès des initiatives digitales, et ceci d’autant plus que l’entreprise se veut ouverte et connectée. Certaines en sont bien conscientes, comme en témoignent ces mots de Georges Plassat, PDG de Carrefour, à propos de leur migration sur un modèle omnicanal : « C’est pour cela que nous faisons des investissements qui vont nous fournir des infrastructures IT plus réactives. En améliorant notre back-office à travers la simplification et le développement de l’architecture de nos systèmes IT, nous avons gagné en efficacité et accru nos capacités à traiter des données sur une large échelle. » Chez Michelin, c’est le président, Jean-Dominique Senard, qui s’exprime ainsi : « Nous transformons nos modes de fonctionnement pour faciliter la vie de nos collaborateurs et celle de nos clients. Cette simplification concerne tout le groupe et elle s’appuie notamment sur un nouvel outil de pilotage de l’entreprise et des systèmes d’information harmonisés. »

Quelles technologie derrière le digital ?

En termes de technologies, le digital recouvre une grande diversité de projets, plus ou moins liés au secteur dans lequel évolue l’entreprise : parmi les sujets phares figure l’Internet des objets (IoT), le Big Data, les services mobiles, l’intégration omnicanal, le e-commerce et le parcours client. L’impression 3D, la réalité augmentée, la blockchain, la modélisation et l’intelligence artificielle sont également citées, mais moins fréquemment.

Le e-commerce, domaine relativement mature, bénéficie d’une certaine antériorité par rapport à d’autres technologies. Dans tous les secteurs proches du grand public, plus personne n’ignore aujourd’hui son impact sur le chiffre d’affaires et sur la relation client. Saint Gobain observe, par exemple, qu’Internet « a profondément revitalisé la relation du groupe avec ses clients. » Néanmoins, l’essor des smartphones et la versatilité croissante des clients rebattent les cartes, imposant aux entreprises de s’adapter à de nouvelles pratiques et de nouveaux modes de consommation, comme la mobilité. « Les modes de vie des nouvelles générations influencent la société dans son ensemble, en termes de mobilité, nouveaux modes de consommation, recherche d’expériences, nouvelles conceptions du service, sensibilité aux valeurs écologiques et sociales, omniprésence du média digital et plus encore. Rester immobile alors que nos clients changent signifierait être laissé derrière », souligne ainsi Antonio Belloni, directeur général délégué de LVMH, insistant sur l’importance de s’adapter à ces clients « hautement connectés ».

À l’image de cet acteur du luxe, de nombreux groupes ont entrepris de repenser leur stratégie marketing et commerciale, en opérant un recentrage sur les usages et en développant de nouveaux services. Le PDG de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, prévoit ainsi de se concentrer sur la digitalisation et la personnalisation dans les années à venir, « afin de rester en phase avec des comportements et des attentes qui évoluent côté client. » La notion de parcours client (customer journey) est au centre de ces nouvelles approches. Le Crédit Agricole décrit un plan mis en œuvre dans sa branche LCL, qui « a pour ambition de mettre le client au centre d’une banque interconnectée, relationnelle et digitale et proposer un parcours fluide » De son côté, Jean-Marie Tritant, directeur opérationnel d’Unibail-Rodamco, met en exergue des initiatives digitales conçues pour « donner le pouvoir » aux visiteurs des centres commerciaux, en ciblant des points sensibles du parcours client comme le parking ou la localisation des boutiques.

Signe de cette nouvelle vague de digitalisation des canaux de vente, les enjeux d’intégration multicanal (un vieux graal technologique) reviennent également sur le devant de la scène. Parvenir à une véritable intégration entre les différents canaux de vente et points de contact est plus que jamais à l’ordre du jour, sans doute car il s’agit d’un prérequis essentiel pour optimiser le parcours client. Le rapport annuel de Carrefour résume bien cet enjeu : « Quel que soit le point d’entrée du client, l’hypermarché, le magasin de proximité ou le site e-commerce, nous cherchons à assurer une expérience fluide, cohérente et un accès aisé à l’achat. »

L’IoT et les objets connectés sont fréquemment cités par les industriels. « Dans la gestion de l’énergie, la technologie opérationnelle, domaine du contrôle des équipements physiques, converge avec la technologie de l’information, domaine du traitement de l’information », explique Jean-Pascal Tricoire, PDG du groupe Schneider Electric. Rien de surprenant donc à voir les projets se multiplier. Air Liquide annonce, par exemple, disposer « de plus de 150 000 objets connectés ». Le groupe présent dans l’industrie et la santé a, par ailleurs, investi dans Sigfox et sa technologie de connectivité. De son côté, le fabricant de verres Essilor collabore avec le CNRS pour mettre au point un prototype de lunettes connectées, tandis que Michelin étudie un pneu connecté dans une optique de maintenance prédictive. Pernod Ricard mise, quant à lui, sur un « Internet of bottles » pour renforcer la traçabilité et garantir l’authenticité de ses produits ; tandis que Renault et Valeo travaillent sur les véhicules connectés. Les acteurs de l’énergie et des services aux collectivités s’y intéressent aussi, notamment dans le cadre des réseaux intelligents (smart grids). Ainsi, Engie a investi dans Sigfox, tandis que Veolia suit de près les enjeux liés aux smart cities. L’IoT présente également un potentiel attractif pour les assureurs, comme en témoigne le rapport annuel d’Axa. Celui-ci évoque le pay how you drive, une assurance conçue pour encourager les comportements prudents au volant, basée sur des boîtiers connectés qui suivent la conduite ; ainsi que des services d’assistance médicale, qui reposent eux aussi sur des dispositifs connectés.

La donnée, gisement de valeur

Les enjeux tournant autour de la donnée et du Big Data sont globalement très présents. Pour Airbus Group, les données constituent ainsi « une matière première vitale qu’il faut protéger et utiliser pour de nouvelles opportunités métier », tandis que le PDG de Safran, Philippe Petitcolin, voit dans le Big Data « un incroyable réservoir de valeur ». Certaines entreprises, comme Axa, reconnaissent explicitement que les données modifient la manière dont ils conçoivent leurs offres : « La révolution numérique modifie la manière dont nous concevons nos produits. Nous avons aujourd’hui accès à un nombre considérable de données, certaines en temps réel », estime ainsi le PDG du groupe. En imaginant la banque du futur, BNP Paribas prévoit, pour sa part, de regarder « les données et l’analyse pour améliorer le service aux clients. » Selon Peter Vandekerckhove, directeur retail & private banking et bank for entrepreneurs chez BNP Paribas Fortis, « la collecte, l’agrégation et l’analyse des données nous aideront à renforcer la connaissance de nos clients. » Pour plusieurs industriels, les données sont aussi un bon moyen d’accroître leur efficacité opérationnelle. Ainsi, pour Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint Gobain, « l’analyse du Big Data va nous offrir de nouvelles données pour améliorer l’efficience de nos processus », tandis que chez LafargeHolcim, des équipes chargées de la performance industrielle explorent différentes manières d’exploiter « logiciels et techniques de Big Data pour changer la gestion, la productivité et l’agilité des usines de fabrication de ciment ». Un peu plus loin, il ajoute : « le Big Data est un moteur pour améliorer la qualité de nos services et développer des offres de plus en plus personnalisées. » Enfin, les données sont aussi un atout pour un marketing efficace, comme en témoigne Saint Gobain en parlant de l’analyse prédictive : « Les décisions marketing ne sont pas prises en se basant sur l’intuition, elles sont supportées par des analyses avancées, des statistiques et le comportement des clients. » Enfin, le Big Data est aussi cité comme arme dans la lutte anti-fraude par la Société Générale.

Un écosystème digital

Pour les grandes entreprises, la « révolution digitale » ou « transformation numérique » signifie aussi de nouvelles façons de travailler, plus ouvertes. L’innovation n’est plus la chasse gardée de la R&D et les entreprises n’hésitent pas à aller chercher idées et technologies auprès d’autres acteurs, en interne (programmes d’innovation ouverts à tous leurs collaborateurs) et en externe (start-up, hackatons…). Par exemple, en 2015, Essilor a proposé un concours d’idées interne mondial, Digistorm, invitant tous ses salariés à proposer de nouveaux concepts autour du numérique et d’Internet. Les groupes du CAC 40 ont compris que disposer d’un écosystème de partenaires est un atout essentiel dans le contexte actuel. Beaucoup développent des partenariats avec le monde de la recherche ou avec des acteurs IT. C’est le cas de Veolia, qui s’est associée à IBM sur les villes digitales, ou de Sanofi, qui travaille sur le diabète avec Verily (ex-Google Life Sciences). Bien entendu, ces nouveaux entrants que sont les start-up occupent également une place de choix dans la stratégie des grands groupes. Programmes d’accompagnement, incubateurs, prises de participation : presque toutes les entreprises du CAC40 ont mis en place des leviers pour s’allier ces jeunes entreprises. Par exemple, Airbus a constitué un réseau de start-up et de chercheurs, afin d’explorer de nouveaux modèles économiques, « comme un projet pilote pour un transport aérien à la demande », tandis que Valeo s’est implanté dans la Silicon Valley, afin « d’être totalement en prise avec un écosystème de start-up qui est une source de créativité, de réactivité et de rapidité ». BNP Paribas évoque des partenariats avec les Fintechs, ces start-up du monde de la finance, ainsi que la « co-création avec leurs clients », un choix fait également par LCL avec sa plateforme d’échanges en ligne LCL&Co. Bouygues investit de manière ciblée à travers sa structure Bouygues Développement, tandis que Veolia a créé Nova Veolia, « société chargée de développer de nouveaux services innovants pour le groupe. Cette filiale investit dans les start-up, développe des partenariats avec des entreprises de pointe ou crée des sociétés de services avec une forte composante digitale. »

Des RH très digitales

Fait marquant, le digital est associé aux Ressources Humaines dans plusieurs rapports annuels. Pour les DRH, il s’agit à la fois d’un enjeu et d’un outil au service de leurs missions. En tant qu’enjeu, le numérique est présenté comme le vecteur d’une nouvelle culture que les entreprises doivent s’approprier. Jean-Pierre Clamadieu, PDG du groupe Solvay, l’exprime en ces termes : « Le numérique change notre manière de travailler et de collaborer : nous devons développer un véritable état d’esprit digital au sein de nos équipes. » Le PDG de Carrefour, Georges Plassat, parle, quant à lui, d’un nouvel état d’esprit : « La culture d’entreprise se développe, avec plus d’initiatives, plus de prises de risques, plus de tests. La technologie digitale contribue à libérer l’information disponible et à abattre les barrières dans nos pratiques. » Il poursuit : « C’est indispensable si nous voulons attirer les meilleurs talents du futur, car tout comme les clients, les employés sont en train de changer. » Les dirigeants sont quasi-unanimes pour affirmer que cette maîtrise de l’univers digital est clé pour attirer et retenir de nouveaux collaborateurs. Le rapport annuel d’Engie parle ainsi de son écosystème digital, « conçu pour donner aux jeunes une expérience positive, avec des applications pour trouver un poste ou un stage, des chats avec les employés, des vidéos sur les carrières, des nouvelles du groupe, des conseils de recruteurs et des dialogues avec des spécialistes sur LinkedIn. » Chez L’Oréal, le DRH, Jérôme Tixier, évoque la mise en place d’une unité spéciale « pour recruter des collaborateurs avec des profils digital ». Même dans le rapport annuel d’ArcelorMittal, bien que l’industrie reste peu touchée par la digitalisation, le seul chapître à parler de digital est consacré au recrutement et à la fidélisation de jeunes scientifiques.

Pour les DRH, l’expérience de l’employé compte désormais autant que l’expérience du client pour les directions marketing. Ils ont un rôle à jouer dans la diffusion de cette nouvelle culture, notamment à travers la formation et la mise à disposition d’outils pour les collaborateurs. Chez LVMH, un cours en ligne nommé « Digital Discovery » permet aux managers « d’acquérir un vocabulaire commun et un corpus de connaissances clés pour prendre en compte les implications de la révolution digitale. » Le numérique a également apporté tout un ensemble de solutions qui valorisent la fonction RH : la mise en place de plateformes de gestion des talents, d’outils pour la mobilité interne, de cours en ligne ouverts et massifs (Mooc), de serious games, deviennent des atouts mis en avant dans les rapports annuels. Chez Legrand par exemple, « de multiples dispositifs de formation en ligne, en particulier des modules d’auto-formation (e-learning) et des classes virtuelles » ont été déployés pour contribuer à la montée en compétence de la filière électrique dans son ensemble.

Technologie Les secteurs qui en parlent le plus
Big Data et analyse prédictive Industrie, banques, assurances
Internet des objets Industrie, assurance, services aux collectivités (smart grids)
E-commerce, services mobiles Distribution, banques, luxe, médias, industrie (plutôt B2C)
Mobilité : géolocalisation Immobilier, industrie automobile
Impression 3D Industrie, BTP
Réalité augmentée Industrie
Modélisation Industrie, BTP (Building Information Modeling)
Blockchain Banques
Intelligence artificielle Industrie automobile, banques

Quatre postures face au numérique

Les meneurs : ces entreprises ne se demandent plus quoi faire avec le numérique, elles ont franchi le pas. Elles utilisent le numérique pour développer de nouveaux produits et services, repenser la relation avec leurs clients, étendre leur écosystème. Digital et IT sont très présents dans leurs rapports annuels (plus de 40 occurrences), à tous les niveaux, depuis la direction jusqu’aux RH en passant par les opérationnels. Certaines, comme les banques, sont sensibilisées par un métier qui repose historiquement sur l’IT ; d’autres sont dans un secteur touché depuis longtemps par la numérisation, comme Vivendi qui « a pris le virage numérique il y a plusieurs années ». Pour d’autres enfin, notamment dans les secteurs de la grande consommation et du luxe, le digital permet d’accéder à de nouveaux marchés. Parmi ces entreprises, on trouve Vivendi, Pernod Ricard, BNP Paribas, L’Oréal, LVMH, Saint Gobain ou encore Schneider.

Les prêcheurs : parmi les entreprises du CAC40 figurent quelques acteurs du secteur IT & Télécoms. Le numérique est pour eux un levier de croissance majeur, qui façonne leurs différentes activités, et, de ce fait, est fortement présent dans leurs rapports annuels. De par leurs domaines d’activité, Cap Gemini, Orange et Nokia se positionnent comme des accompagnateurs de la transformation numérique auprès des autres entreprises. Nous les avons volontairement placés dans une catégorie à part afin de ne pas fausser l’analyse. Vinci (à travers sa filiale Vinci Energies), Legrand et Schneider Electric (à travers leurs solutions pour les datacenters) ont également intégré l’IT dans une partie de leurs métiers.

Le peloton : la majorité des entreprises semblent être encore en train de tâter la température de l’eau avant de plonger. Les plus en avance ont lancé des programmes pour explorer les opportunités du numérique ou récolter des idées. Beaucoup souhaitent également sensibiliser leurs collaborateurs au digital. Le numérique est présent dans leurs rapports annuels, mais dans une proportion moindre que dans les deux catégories précédentes (entre 15 et 40 occurrences).

Les grandes muettes : quelques entreprises parlent très peu de digital et d’IT, notamment ArcelorMittal, PSA, Renault, Sanofi, Solvay, Total, Technip, LafargeHolcim, Sodexo, Kering ou Danone. En majorité, il s’agit d’industriels qui ciblent les marchés interentreprises, ou qui ne sont pas directement en contact avec leurs clients finaux (vente à travers des intermédiaires). Ce positionnement explique que la digitalisation n’est pas vraiment ressentie comme une urgence, même si des indices montrent quand même une prise de conscience : nomination d’une Chief Digital Officer (Brigitte Cantaloube) en 2016 chez PSA ; digital cité comme axe d’amélioration chez Sanofi ; reconnaissance par Sophie Bellon, vice-présidente du comité de direction de Sodexo ; digital reconnu comme un domaine qui va « affecter notre développement sur le long terme » ou encore Total, qui va s’appuyer sur « les innovations digitales pour développer de nouvelles offres pour ses clients. »


Les chiffres clés de l’étude Best Practices

  • Nombre de DSI au comité exécutif : 4 sur 40 (Axa, Engie, Essilor, Schneider Electric).
  • Nombre CDO au comité de direction/comité exécutif : 6 entreprises sur 40 (AccorHotels, Axa, Engie, L’Oréal, Legrand, Saint-Gobain).
  • Mentions des systèmes d’information dans le rapport annuel : 18 entreprises sur 40.
  • Mentions du numérique dans le rapport annuel : 31 entreprises sur 40
  • Nombre d’entreprises notées AAA : 14 sur 40 (Cf. tableau).

Une maturité numérique qui progresse

La maturité numérique des entreprises du CAC 40 progresse, c’est ce qui ressort de la troisième édition du classement eCAC40 publié par le quotidien Les Échos. La moyenne générale du palmarès eCAC40 a augmenté, passant ainsi de 10,51/20 en 2015 à 11,35/20 en 2016, soit une hausse de 0,84 point. La méthodologie, conçue par l’expert Gilles Babinet et validée par un comité d’experts, s’appuie sur plus de cent critères, répartis en différents thèmes : la communication externe et les réseaux sociaux, le niveau de maîtrise technologique, l’ouverture sur un écosystème numérique, la culture digitale (autrement dit, l’organisation managériale du numérique en interne, le degré d’implication des collaborateurs), la sécurité. « La surprise vient des acteurs industriels. Ils remontent très fortement dans le classement eCAC40. L’an dernier, il était manifeste qu’ils n’avaient pas encore mis en œuvre leur révolution digitale », souligne Gilles Babinet.

Selon ce classement, trois entreprises se distinguent particulièrement et ont été récompensées par des Trophées : Engie, Orange et la Société générale. Ces trois groupes sont aussi bien notés dans le classement exclusif Best Practices, Engie et Société générale ont été noté AAA, Orange est noté BAA, la partie systèmes d’information étant plutôt en retrait par rapport aux problématiques numériques. Le rapport annuel et le document de référence de la Société générale abordent les problématiques de Big Data, de protection des données, de classes virtuelles pour la formation des collaborateurs, de mobilité, de banque numérique, d’innovation ouverte, des start-up et des hackatons… De son côté, Engie évoque les problématiques des smart homes, l’Internet des objets, le Big Data, les smart grids, les MooC internes et le recrutement de data scientists.

Globalement, le classement Best Practices est relativement cohérent avec le classement eCAC40, pour le traitement des problématiques numériques. Nous apportons toutefois des nuances pour certains groupes, en particulier Orange, BNP Paribas, Vivendi et surtout Total qui apparaissent en retrait quant à l’alignement entre les SI et le numérique, indispensable pour refléter une réelle cohérence de la stratégie numérique.

Le classement eCAC40 : le Top 10
 Rang  Entreprise  Note sur 20
 1 Engie  17,16
 2  Orange  16,97
 3  Société générale  16,12
 4  Schneider Electric  15,70
 5  BNP Paribas  15,58
 6  AccorHotels  14,79
 7  Total  14,67
 8  Vivendi  14,00
 9  Air Liquide  13,15
 10  CapGemini  13,09
 Source : Les Échos.