Les maîtrises d’ouvrage au cœur de la gestion de projet

Face à la complexité des projets, la professionnalisation des maîtrises d’ouvrage constitue un passage obligé. Retour sur deux expériences : la Gendarmerie nationale et le ministère de la Culture.

Les projets de transformation des systèmes d’information sont facteurs de complexité. Il faut en effet, et en parallèle, décloisonner les processus tout en préservant les spécificités métiers, garantir une prise de décision dans le respect des délais et des objectifs malgré le nombre d’acteurs, impliquer les sponsors et rendre cohérents les projets…

Les acteurs de ces projets doivent disposer à la fois de compétences métiers et de compétences SI. Et tout se joue au début des projets de transformation. « Le lancement est une phase complexe qui structure et met en place les fondations du projet. Les phases amont sont critiques et elles sont facteurs de risques majeurs pour le projet. On risque notamment de mal comprendre la problématique, d’engager le projet, donc des moyens, alors que ce n’est pas opportun », explique Grégory Gédon, manager chez Ineum Consulting.

« Pour maîtriser les risques et sécuriser les projets, il est critique de professionnaliser les maîtrises d’ouvrage et de définir des processus d’arbitrage », ajoute-t-il. Une démarche mise en œuvre par la Gendarmerie nationale et au ministère de la Culture et de la Communication.

A la Gendarmerie nationale, la sous-direction des télécommuni­cations et de l’informatique est chargée de la conduite de tous les projets SIC (systèmes d’information et de communication), avec plus de 160 personnes. « Nous avons des dizaines de projets en cours chaque année et tous les officiers ont une double culture : militaire et technologique », explique le colonel François Degez, chef du Bureau des systèmes d’information de la Gendarmerie nationale.

La Gendarmerie a d’ailleurs mené ces dernières années des projets de très grande envergure: Saphir 3G (pour relier les sites), Agorh@ (le SIRH sur SAP), Ariane (système commun à la police et à la Gendarmerie), Athen@ (pour la gestion des interventions.

Mais, en période de restrictions budgétaires : « l’arbitrage et le lancement de projets sont de plus en plus critiques, il faut faire des choix avec des projets de plus en plus complexes. » Résultat : tous les acteurs concernés sont impactés : « Les directions métiers sont de plus en plus sollicitées alors même qu’elles ne sont pas toujours préparées ou organisées pour conduire des projets, précise François Degez.

Et face au turn-over important des directions métiers, l’entité systèmes d’information a un rôle majeur vis-à-vis de la conduite des projets. Tranversalité et interopérabilté constituent des impératifs. » D’où l’obligation de partager des méthodes communes, de capitaliser sur ce qui existe déjà et mieux dimensionner les équipes projets.

Il fallait donc adopter une approche qui aide à mieux préciser les besoins, à évaluer le coût des projets et étudier leur faisabilité, avec des livrables clairement identifiés et comparables entre projets. La méthode retenue, déployée avec l’appui d’Ineum Consulting, se décompose en cinq étapes : le cadrage, la conception, la validation, la formation et l’évaluation.

« Qu’il s’agisse du lancement du projet, de sa réalisation, de sa conduite ou de la gestion de portefeuille, on retrouve trois phases : la phase d’opportunité pour exposer le problème et décider s’il faut ou non le résoudre ; la phase de faisabilité, pour identifier les besoins, les lacunes de l’existant et construire les scénarios possibles ; la phase de contractualisation pour concevoir la solution fonctionnelle puis applicative et organiser la mise en oeuvre du projet », résume Grégory Gédon.

Au ministère de la Culture et de la Communication, le dernier schéma directeur, lancé en 2004, a mis en avant plusieurs difficultés : « Un manque de visibilité des projets en cours ou à lancer, des processus d’arbitrage à améliorer, une DSI omniprésente dans la conduite des projets et une sous-représentation des directions métiers et, enfin, une organisation de la fonction informatique à améliorer, en particulier au niveau des directions métiers », résume Eric Scher, directeur des projets de la Direction des affaires générales du ministère de la Culture et de la Communication.

Côté projets, il y avait également un certain nombre de difficultés, notamment des délais et des coûts beaucoup plus importants que prévu au lancement du projet. « Les projets n’étaient pas toujours en phase avec les besoins métiers une fois livrés, en particulier compte tenu des délais, explique Eric Scher. En outre, les utilisateurs étaient dépossédés de leurs outils informatiques car peu ou pas sollicités lors des phases de conception. »

La mise en œuvre d’une nouvelle organisation s’est appuyée sur trois acteurs clés de la fonction informatique : le haut fonctionnaire des SI en charge de la stratégie fonctionnelle et de la cohérence des projets, le responsable du DSI et les gestionnaires de portefeuilles. Dans un deuxième temps, l’élaboration des méthodes de gestion de projet est venue renforcer la nouvelle organisation.

« Les méthodes, conçues et validées par toutes les parties prenantes, gestionnaire de portefeuille, chef de projet MOA, chef de projet MOE, experts, utilisateurs, font référence à chaque étape clé aux instances d’arbitrage », précise éric Scher. Puis tous les chefs de projet sont formés : sur les méthodes, sur UML, pour les MOA et sur un outil de planification.

« Les premiers résultats de ces actions sont très positifs, assure Eric Scher, les arbitrages se font dorénavant plus rapidement et les décisions prises sont légitimes et partagées, il n’y a plus de projet arrêté avant qu’il ne soit livré. Les études amont permettent de prendre le temps de justifier le lancement du projet et d’en analyser les coûts, les risques, les gains…»

« Désormais, ajoute éric Scher, l’utilisation des méthodes est obligatoire pour tous les projets qui se lancent, les livrables sont tous validés par le commandement. » A l’issue du schéma directeur, un certain nombre d’actions ont été entreprises. Notamment la création d’un poste de haut fonctionnaire aux SI (HFSI), l’élaboration de la stratégie SI du ministère à cinq ans (définition des axes stratégiques, revue complète des projets et adéquation des projets à la stratégie), un plan de formation pour tous les chefs de projet MOE et MOA, ainsi que la conception de méthodes communes de gestion de projets. Cela s’est traduit par la constitution de portefeuilles de projets (portefeuilles métiers et portefeuilles transverses, mise en place des gestionnaires de portefeuille), l’élaboration de nouveaux processus d’arbitrage et de planification.

« Ces méthodes permettent de définir un langage commun pour tous les acteurs (MOA, MOE et commanditaire, de préciser les rôles de chacun pour chaque phase d’un projet et de responsabiliser les acteurs, conclut Grégory Gédon. Elles reposent sur une structuration en phases en accord avec les bonnes pratiques de la gestion de projet, avec des outils permettant de se poser les bonnes questions et d’y répondre, des acteurs clés et des rôles/responsabilités clairement identifiés. »

Trois niveaux d’arbitrage

• L’arbitrage stratégique : élaboration du portefeuille (liste approximative des projets, chiffrage pluriannuel).
• L’arbitrage tactique : programmation annuelle (liste exacte des projets, contenu précis des projets déjà lancés, chiffrage précis pour l’année).
• L’arbitrage opérationnel : cadrage de projet (ROI), contenu et chiffrage précis du projet.

(source : Ineum Consulting).

La démarche de la Gendarmerie nationale
Étapes Best practices
Cadrage
  • Identification des besoins prioritaires.
  • Une méthode de lancement de projet.
  • Des fiches pratiques sur les phases de réalisation.
  • Un portail méthodologique.
  • Un accord sur les délais et les méthodes.
Conception
  • Un groupe de travail restreint et représentatif des projets de la Gendarmerie nationale.
  • Un groupe de travail par méthode.
  • Trois ou quatre réunions maximum.
  • Une méthode basée avant tout sur des livrables illustrés d’exemples tirés de projets réels.
Validation
  • Une première validation par les membres du groupe de travail.
  • Puis une validation du commandement du bureau.
Formation
  • Un parti pris : des formations assurées par les officiers eux-mêmes pour favoriser l’appropriation.
  • Toutes les sections obligatoirement formées.
Utilisation et évaluation
  • Une mise en pratique immédiate.
  • Obligation pour tous les nouveaux projets de respecter le nouveau cadre méthodologique.
  • Des livrables visés par la hiérarchie qui font office de contrat interne entre les différents protagonistes.
  • Une évaluation qui sera à mener dans quelques temps.
Source : Ineum Consulting.