Dans un contexte économique et politique tendu, où les coûts de l’énergie augmentent et où l’inflation impacte les salaires et les charges, la maîtrise des coûts apparaît comme une priorité pour les directions générales et les DSI pour piloter la performance.
Ces dernières cherchent, à travers une meilleure connaissance de leurs dépenses, à mieux les appréhender et modéliser afin de trouver les leviers pertinents pour les maîtriser. Si la migration vers le cloud permet de rationaliser et moderniser la production informatique, elle doit faire face en même temps à la gestion de la dette technique. L’opération de transfert On-Premise vers cloud nécessite un changement des pratiques et ne peut se faire sans avoir au préalable dégagé les ressources nécessaires.
Par ailleurs, des pistes d’économies encore peu et mal explorées peuvent être trouvées en analysant les coûts de licences et de maintenance, qui peuvent vite exploser pour le parc d’applications anciennes et spécifiques. Au-delà de l’économique, le pilotage de la performance doit également intégrer la dimension écologique.
Dans le cadre de son cycle de conférences sur les grands enjeux du numérique, l’Isaca Afai a organisé une table-ronde centrée sur la maîtrise des coûts informatiques, dans un contexte d’évolution profonde du management des systèmes d’information.
« Il y a des changements de comportement que l’on doit intégrer, avec le télétravail, il faut permettre aux collaborateurs de travailler dans des conditions sécurisées mais avec de la flexibilité », souligne Marie-Hélène Fagard, DSI de l’ESN Inetum. Pour Benjamin Rameix, DSI du groupe Prévoir, « Le covid a été un catalyseur dans l’évolution des usages, la pression demeure, autour de quatre grande thématiques : la gestion des talents, les relations avec les éditeurs de logiciels, la cybersécurité et l’innovation dans les usages. »
A cela s’ajoute des tensions inflationnistes. Mais qui semble, en partie, être un bon prétexte pour que les fournisseurs augmentent leurs tarifs de façon significative. « Quand on constate qu’un éditeur augmente ses tarifs de 25 %, ce n’est pas lié à l’inflation », remarque Marie-Hélène Fagard. Même constat pour Benjamin Rameix : « l’inflation est un sujet de tension, les éditeurs de logiciels ont opéré des hausses très significative et, sur ce point, l’inflation a bon dos… »
Mieux analyser les coûts
Il est donc essentiel de mieux analyser les coûts pour mieux les maîtriser et, éventuellement, les réduire. « On nous demande de plus en plus comment refacturer les coûts de la DSI, avec de plus en plus de passage du Show Back (capacité à fournir une visibilité aux métiers) vers le Charge Back (facturation des métiers) », constate Steve Gordon, associé au cabinet de conseil CostHouse.
Marie-Hélène Fagard note qu’on « ne peut pas baisser les salaires ni arrêter les projets, il faut au contraire les augmenter, se réinventer et faire les choses différemment. Tout le monde devra contribuer, pas seulement les DSI. On est obligé de savoir évaluer les coûts, le TCO aide beaucoup, ça aide pour la gouvernance des relations avec les métiers. Il faut aussi intégrer les coûts des applications hors DSI, gérées par exemple par les DAF. »
Il existe d’ailleurs des modèles qui permettent de telles analyses, en particulier l’approche ABC et le modèle d’analyse et de benchmarking des coûts publié par le Cigref. « Le modèle de coûts ABC est un outil de pilotage, qui est aussi à vocation pédagogique. Avec un modèle de coûts, on progresse très vite », estime Benjamin Rameix. Rappelons que la méthode ABC (Activity-Based Costing), ou comptabilité basée sur les activités, est un système de comptabilité de gestion qui vise à attribuer les coûts aux produits et aux services de manière plus précise que les méthodes traditionnelles. En mettant l’accent sur les activités spécifiques qui génèrent des coûts, l’ABC offre aux entreprises une vision plus détaillée de leur structure de coûts. « Les aspects financiers de la DSI constituent des excellents outils de discussion avec les métiers », note Marie-Hélène Fagard.
Les apports de la méthode ABC
L’approche ABC repose sur deux principes clés : l’identification des activités et l’allocation des coûts. Tout d’abord, les activités sont identifiées et regroupées en catégories logiques, telles que la conception de produits, le support client, la gestion des stocks, etc. Ensuite, les coûts sont alloués aux activités en utilisant diverses méthodes, telles que l’analyse des temps et des mouvements, les estimations de ressources et l’utilisation de données historiques. Une fois que les coûts sont attribués aux activités, ils sont ensuite réaffectés aux produits ou services en fonction de la consommation réelle de chaque activité par ceux-ci.
La méthode ABC présente trois avantages principaux :
- Une précision accrue : l’ABC permet une répartition plus précise des coûts, ce qui permet aux entreprises de mieux comprendre les véritables coûts associés à chaque produit, service ou activité. Cela favorise une meilleure prise de décision en matière de tarification, de rentabilité des produits et de gestion des coûts.
- Une identification des activités à valeur ajoutée : l’ABC permet d’identifier les activités qui créent réellement de la valeur pour l’entreprise. En se concentrant sur ces activités, les entreprises peuvent optimiser leurs processus et réduire les coûts inutiles liés aux activités non essentielles.
- Une gestion basée sur les activités : l’ABC fournit une base solide pour la gestion basée sur les activités, permettant aux entreprises d’allouer efficacement leurs ressources en fonction de la valeur ajoutée. Cela peut conduire à une meilleure utilisation des ressources, à une réduction des gaspillages et à une amélioration globale de l’efficacité opérationnelle.
Plusieurs pistes sont pertinentes pour maîtriser les coûts. Il convient d’agir à plusieurs niveaux. D’abord au niveau contractuel : « « Quand on a un contrat sur trois ans et que l’on a eu la bonne idée de plafonner les tarifs, il y a moins de surprises », rappelle Marie-Hélène Fagard.
Mieux gérer les actifs logiciels
Ensuite, mettre en place le management des actifs logiciels (SAM : Software Asset Management) : « Avec le SAM, il y a de vrais gains sur les usages », assure Benjamin Rameix. « On fait un véritable bond dans l’analyse des coûts et des usages, il y a de vrais gains, surtout si on challenge les pratiques des éditeurs », confirme la DSI d’Inetum.
Enfin, il faut rester prudent les économies a priori, notamment avec le cloud et l’inertie des budgets IT. « On peut avoir des coûts de licences faibles mais des coûts de services élevés, par exemple en charge de gestion de tickets. Et n’oublions pas également que les deux-tiers de nos coûts concernent les ressources humaines », note Benjamin Rameix. Pour sa part, Marie-Hélène Fagard considère qu’aujourd’hui, « j’ai l’impression c’est plus compliqué d’affirmer « on gagne tant en migrant dans le cloud », c’est davantage une question de stratégie pour arbitrer entre le On Demand et les datacenters. »
Même si le mouvement vers le cloud semble inéluctable. « Si on ne va pas vers le saaS, le SaaS viendra à nous », résume Benjamin Rameix. Pour Cédric porte, consultant cloud chez D2SI (Devoteam), « il faut intégrer Finops le plus en amont possible, dès le design des applications. Finops rapproche la finance de l’opérationnel. » Et ne pas négliger les benchmarks, là encore avec précaution quant aux coûts standards qu’ils proposent : « Le meilleur benchmark c’est celui que l’on réalise avec soi-même d’une année sur l’autre », recommande Steve Gordon, du cabinet Cost House.