Les principes de l’innovation incrémentale

Aujourd’hui, l’« hypercompétition » attire tous les concurrents sur le moindre segment qui promet une certaine rentabilité. Ce phénomène touche de plus en plus de domaines. Il est primordial de se démarquer et de présenter une réelle plus-value. Cela passe notamment par le maintien d’un flux constant de produits innovant (1).

Il apparaît que l’innovation continue ou incrémentale du Kaizen tend à être rendue obsolète par rapport à des buts plus conséquents : provoquer une innovation de rupture (2).

Le changement est discontinu (3). Il faut pouvoir créer des marchés pour lesquels on devient la référence (4). L’innovation de rupture a été fortement favorisée dans le domaine des TIC ces dernières années avec l’apparition du cloud computing, des smartphones, des tablettes, etc. Pour obtenir cette nouveauté de rupture, il faut s’orienter vers une démarche de type RID (Recherche, Innovation et Développement) telle que définie par Hatchuel, Le Masson et Weil (5), avec un management de l’innovation adapté au métier des SSII (Société de Service en Ingénierie Informatique).

L’innovation incrémentale

Les méthodes agiles, plus particulièrement la méthode SCRUM (6), très répandues dans le cadre du développement logiciel offre la possibilité d’unifier les processus RID. Il s’agit d’exécuter des cycles itératifs rapides, des sprints (d’environ deux semaines) pour consommer les stories (représentant des fonctionnalités ou des éléments techniques) à développer permettant de finaliser notre produit.

A l’issue de chaque itération, des fonctionnalités sont ajoutées au produit. Celui-ci est fonctionnel et livrable. La méthode SCRUM est appliquée sur chacun des processus de manière indépendante afin de les coordonner. Le premier qui a été lancé est celui de l’innovation. Une idée à partir d’un produit, d’un concept d’un collaborateur ou d’un besoin particulier sert de point de départ.

A ce stade, le projet relève de l’innovation incrémentale, sur laquelle des cycles de maturations sont lancés. Elle ne change pas nécessairement le statut de l’innovation. Nous sommes toujours dans le contexte d’une innovation soutenue (ou incrémentale) telle que définie par Christensen (7).

Une fois la maturation jugée suffisante, les cycles de recherche et de développement sont lancés conjointement. Les itérations consistent à produire des prototypes avec des fonctionnalités innovantes mais insuffisantes pour nous démarquer de la concurrence. Le postulat est que ces itérations vont autoalimenter l’ensemble du processus : des idées à la suite d’une innovation, vont en emmener d’autres, etc. Une maturation itérative des nouveaux concepts est mise en place à travers de nouvelles quêtes et de nouveaux développements permettant de valider ces concepts.

Quel est l’intérêt si nous restons dans de l’innovation incrémentale ? Les modèles actuels montrent que ce type n’aboutit pas à de l’innovation de rupture. Comment obtenir ce Graal de l’innovation ?

L’innovation de rupture

L’objectif de tous ces processus est l’équivalent de la « sérendipité », l’émergence de concept relevant de l’innovation de rupture : « l’art de trouver la bonne information par hasard (8) ». Ce hasard est guidé par de nombreux vecteurs : la favorisation du travail collaboratif, la production systématique de produits, avec une valeur ajoutée innovante à chaque itération, ou l’établissement de partenariats multidisciplinaires.

Nous pensons que, par cette méthode, l’enrichissement des produits de départ est tel que les éléments ajoutés deviennent la base d’un nouvel outil. Le simple recentrage amène un concept qui est une nouvelle référence sur laquelle la rupture peut se réaliser.

Globalement, la recherche d’innovations de rupture conduit à prendre des risques, dans notre métier. Il est indispensable de minimiser ces risques. L’intérêt de la généralisation de la méthode SCRUM dans nos processus est de contrôler les investissements effectués dans l’innovation. Consulter des indicateurs sur l’avancement des projets, réorienter notre processus d’innovation en modifiant les objectifs ou réagir suite à l’introduction de nouvelles technologies issues de la concurrence, ou de la recherche sont possibles. De plus, dans le cadre d’une SSII, les ressources humaines allouées sur un projet peuvent fluctuer, en termes de volume comme de personnes.

Les dispositifs itératifs basés sur le travail collaboratif, nous amènent à penser que la méthode agile SCRUM pour l’ensemble de notre processus RID est une solution pertinente. Elle permet la mise en place d’équipe auto-organisées, procédant par cycles d’innovations incrémentales. Elles peuvent nous entrainer jusqu’à l’obtention d’une innovation de rupture en fin de processus.

Cet article a été écrit par Fabrice Bazzaro, responsable des projets innovation au sein de la Business Unit Est de Sogeti.


(1) Eisenhardt (Kathleen M.), et Brown ((Shona L.), Time pacing : competing in markets that won’t stand still, Harvard Business Review, march-april 1998;
(2) Christensen (Clayton M.), The Innovator’s dilemma: when new technologies cause great firms to fail, Harvard Business School Press, 1997.
(3)Hamel (Gary), Leading the revolution, Harvard Business School Press, 2000.
(4) Sarazin (Benoît), Misez sur les ruptures de marché, Edition Milalma, 2007.
(5) Hatchuel (Armand), Le Masson (Pascal) et Weil (Benoî)t, From R&D to RID, 8th International Product Development Management conference, june 2001.
(6) Aubry (Claude), SCRUM le guide pratique de la méthode agile la plus populaire, Dunod, 2010 et Schwaber (Ken), SCRUM Development Process, Business Object Design and Implementation: OOPSLA’95 Workshop Proceedings. Springer-Verlag, 1997.
(7) Christensen (Clayton M.), The Innovator’s dilemma: when new technologies cause great firms to fail, Harvard Business School Press, 1997.
(8) Martinet (Bruno), et Marti (Yves-Michel), L’intelligence de marché, 2001.