Les services numériques toujours en mutation

Le cabinet Xerfi vient de publier une étude dédiée au marché des services numériques, sous-titrée : « Réinventer les modèles d’affaires des ESN pour tirer parti de l’IA et surmonter les défis économiques ». L’analyse de l’auteur de l’étude, Flavien Vottero, directeur d’études chez Xerfi.

Comment va évoluer l’activité des services numériques en France ?

Le secteur des services numériques traverse une période délicate. Après une croissance atone de 0,5% en 2024, l’activité des entreprises de services numériques (ESN) reculera de 1% en 2025 avant de se reprendre timidement jusqu’en 2027, selon nos prévisions. A l’évidence, le climat économique morose et la prudence budgétaire des entreprises pèsent sur le chiffre d’affaires des acteurs. La demande des entreprises en matériels et logiciels informatiques va de fait nettement refluer après la désorganisation liée à la crise sanitaire.

En outre, après la hausse de 3% par an des prix des services numériques, observée depuis 2021, la parenthèse inflationniste va prendre fin, d’après nous. Bien que prometteuse, la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) générative va contraindre les acteurs à revisiter leur modèle d’affaires. Les clients exigeront en effet des baisses de tarifs, s’appuyant sur les gains de productivité obtenus. L’internalisation de missions IT, permise par l’IA, pourrait également entraîner un moindre volume de contrats.

Le déploiement de solutions d’intelligence artificielle en interne va aussi permettre d’alléger la structure de  coûts des ESN, à l’instar de certains géants américains du secteur qui ont annoncé de vastes plans de suppressions de postes. Dans ce contexte, nous anticipons une reprise modérée du marché des services numériques à partir de 2026, avec des investissements IT en progression de 3,5% par an d’ici 2027, centrés sur des segments jugés stratégiques comme la cybersécurité, l’IA et les services cloud.

Ce ralentissement de la croissance va en tout état de cause contraindre les ESN à s’adapter rapidement aux nouveaux besoins de leurs clients et donc à démontrer leur valeur ajoutée dans un contexte de transformation technologique accélérée.

Quelles stratégies de croissance privilégier pour traverser cette période délicate ?

Dans un environnement sous tension, les ESN doivent privilégier des stratégies combinant innovation technologique, diversification des offres et recentrage client. La personnalisation est au cœur des priorités car les entreprises attendent des solutions sur mesure, intégrant IA, automatisation et conformité réglementaire. L’intégration de l’intelligence artificielle générative constitue un levier stratégique, à condition de l’adapter aux spécificités sectorielles (santé, finance, industrie).

Dans cette logique, les offres « clés en main » combinant technologie, formation et accompagnement au changement gagnent du terrain. En interne, les ESN doivent moderniser leurs propres processus via l’IA et les outils no-code pour optimiser leurs coûts et accélérer les livraisons. Un autre levier à actionner est la mise en place d’une politique RH innovante intégrant la gestion structurée des freelances, devenus une ressource clé dans un contexte de tensions sur l’emploi IT. Sur le plan commercial, l’approche « client centric » devient impérative.

Elle repose sur une refonte organisationnelle des ESN autour des métiers clients et une communication recentrée sur des résultats mesurables. Enfin, les segments émergents comme le green IT ou l’open source représentent des relais de croissance. L’open source est en effet perçue comme un atout pour répondre aux défis de l’indépendance technologique et de la transition écologique. Or, les ESN s’imposent comme des partenaires clés pour le développement, l’intégration ou l’externalisation de solutions open source dans les entreprises et dans le secteur public.

Dans un marché en recomposition, les entreprises de services numériques les plus agiles et capables de jouer un rôle de partenaire stratégique, et non plus de simple prestataire, seront les mieux armées pour capter une demande plus sélective.

Quelle influence peut avoir la transformation du marché sur le jeu concurrentiel ?

La mutation du marché des services numériques bouleverse profondément les équilibres concurrentiels. D’abord, le déclin de l’infogérance traditionnelle au profit du cloud computing pousse les acteurs historiques comme Capgemini ou Atos à se désengager de cette activité pour recentrer leurs offres sur des services à plus forte valeur ajoutée, comme l’IA, la cybersécurité ou les architectures hybrides. Cette bascule technologique redéfinit les frontières du secteur et impose une montée en compétence continue.

Ensuite, l’émergence de nouveaux entrants accroît la pression sur les ESN traditionnelles. Cabinets de conseil (les consultechs), plateformes de freelances (Malt, LeHibou) et géants du BPO (comme Teleperformance) élargissent en effet leur périmètre d’intervention, souvent avec des modèles plus agiles et compétitifs. Ce nouveaux entrants accentuent la fragmentation du marché et obligent les ESN à se repositionner sur des segments différenciants pour préserver leurs parts de marché.

Enfin, la généralisation de l’IA générative favorise les acteurs susceptibles de proposer des solutions modulaires, personnalisées et mesurables. Le jeu concurrentiel se transforme donc en profondeur, valorisant l’innovation, la spécialisation sectorielle et la capacité à s’intégrer comme partenaire stratégique plutôt que simple prestataire.