L’interopérabilité : ce que l’on peut faire

Pour garantir un minimum d’interopérabilité, il est possible de décortiquer le code d’une application. Mais à certaines conditions…

L’interopérabilité a toujours été l’un des enjeux des technologies, qui ont eu besoin d’être intégrées entre elles. Ce sujet est aujourd’hui d’autant plus crucial que les innovations, telles que l’Internet des objets ou la Blockchain, reposent sur une interopérabilité totale, c’est-à-dire la capacité de deux systèmes à fonctionner et échanger des flux de données l’un vers l’autre.

On retrouve l’interopérabilité à tous les niveaux, depuis les infrastructures jusqu’aux compétences managériales. La réversibilité des solutions choisies, de leur interopérabilité et de leur bonne intégration aux SI, est l’un des dix critères prônés par le Cigref pour la modernisation des postes de travail (1). Et, selon une étude du BCG (2), l’une des quatre compétences majeures concerne « le management des architectures technologiques, pour s’assurer de la cohérence des choix et de l’interopérabilité. » Toutefois, il n’existe pas de définition juridique de l’interopérabilité.

La directive européenne sur la protection juridique des programmes d’ordinateurs explique qu’il s’agit de « la capacité d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement les informations échangées ». Le Code de la propriété intellectuelle aborde cette notion, sans la définir, dans son article L 122-6-1. Celui-ci précise que « la reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n’est pas soumise à l’autorisation de l’auteur lorsque la reproduction ou la traduction est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un logiciel créé de façon indépendante avec d’autres logiciels. »

Ce principe est bien sûr encadré. Trois conditions doivent être réunies : d’abord, il faut que l’utilisateur soit légitime, autrement dit qu’il ait payé sa licence de manière à avoir le droit d’utiliser le logiciel concerné. Ensuite, les informations nécessaires à l’interopérabilité ne doivent pas être déjà facilement et rapidement accessibles. Enfin, cette action de décompilation est limitée aux seules parties du logiciel qui sont indispensables à cette interopérabilité.

Le Code de la propriété intellectuelle précise également que les informations obtenues par la décompilation ne doivent pas être utilisées à des fins autres que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel, ni communiquées à des tiers, sauf si cela est nécessaire à l’interopérabilité du logiciel, ni « utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un logiciel, dont l’expression est substantiellement similaire, ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d’auteur. »

« L’interopérabilité est un droit pour l’utilisateur légitime et un éditeur ne peut interdire la réalisation d’un lien entre deux logiciels. Ce dernier peut toutefois anticiper l’interopérabilité en proposant des outils, des interfaces existantes, des APIs. Certes, les technologies et les architectures informatiques évoluent, pour autant, les solutions, aussi complexes soient-elles, restent des programmes informatiques, même si elles sont aujourd’hui souvent le résultat d’interconnections ou d’intégrations d’une multitude de logiciels d’éditeurs différents, voire d’Open Source » souligne Claudia Weber, avocat associé fondateur du cabinet ITlaw Avocats.

Trois enjeux : technique, juridique et financier

L’interopérabilité est ainsi associée à trois grands enjeux. D’abord, un enjeu technique. Le niveau de complexité des systèmes d’information et des applications, comportant des technologies hétérogènes sur des supports différents, avec une multitude d’API, de nombreux acteurs dans des écosystèmes toujours plus étendus, rend très difficile la cartographie des flux de données, des points de connexion. De ce fait, la compréhension de l’interopérabilité et l’éventuelle décompilation qui serait pourtant nécessaire pour en cerner tous les mécanismes. Ensuite, un enjeu juridique, on le voit avec les problématiques d’audits de licences ou d’accès indirects (lorsque, par exemple, des logiciels tiers accèdent à un ERP et que l’éditeur de celui-ci entend faire payer pour ces accès).

D’où l’importance d’anticiper ces aspects juridiques dès l’élaboration des contrats, surtout pour des logiciels très structurants comme les ERP. C’est, enfin, un enjeu financier car, au final, le manque d’interopérabilité a un coût qui doit être payé : c’est, hélas, souvent le client final qui règle la facture, lorsque les solutions qu’il utilise manque de performance, ne communiquent pas entre elles ou qu’il est nécessaire de réaliser des développements spécifiques pour garantir un minium d’interopérabilté. Ce qui renforce la complexité du système d’information… •


(1) Evolution de l’environnement de travail à cinq ans, la DSI au service de l’expérience salarié, Cigref.
(2) « Designing the tech function of the future », Boston Consulting Group.