Lost in transition digitale

Cette nouvelle édition de Sociétal, publiée sous l’égide de l’Institut de l’Entreprise, met en exergue les bouleversements qui affectent l’emploi et le travail à l’ère numérique. « La grande transformation que nous vivons nous propulse dans l’âge des paradoxes : salarié et entrepreneur, individualiste et collaboratif, indépendant et subordonné, nomade et sédentaire… », résument les auteurs.

La révolution numérique, sur le plan économique, introduit une siuation dont les économistes classiques avaient rêvé : la quasi-concurrence pure et parfaite. Pour Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP, « le commissaire-priseur walrasien existe et tout utilisateur d’Internet l’a rencontré. Bousculé par la concurrence généralisée et mondialise, le producteur est obligé de se réorganiser. Concrètement, nous allons vers un renforcement des relations contractuelles au détriment des relations hiérarchiques. »

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Sociétal 2016, numérique et emploi : #Lost in transition, sous la direction de Jean-Marc Daniel et Frédéric Montlouis-Félicité, Institut de l’Entreprise, Eyrolles, 320 pages.

Trois types de transformations sont à l’œuvre : dans le champ sociétal (que l’on songe à la culture, à la politique, à l’éducation ou à la santé), dans le champ économique (bouleversement des chaînes de valeur qui fait que toute position dominante devient temporaire) et dans le champ social (travail et emploi).

La troisième révolution industrielle, après les deux premières (celles de la vapeur et de l’électricité), est, nous explique l’économiste Christian Saint-Etienne, celle de « l’iconomie entrepreneuriale », définie de la manière suivante : « Une révolution de l’intelligence en réseau appliquée à toutes les activités humaines, qu’elles soient économiques, sociales ou culturelles, qui a pour effet de déconstruire les organisations massifiées et hiérarchisées issues de la deuxième révolution industrielle. » Cette révolution intègre trois mutations : scientifique et technologique (économie de l’informatique, de l’Internet et des systèmes en réseau), capitalistique et organisationnelle (économie entrepreneuriale et innovation) et des usages (industrie des effets utiles ou économie servicielle).

Cette révolution se caractérise ainsi par « l’émergence d’un nouveau système technique et des grappes d’innovations de rupture : ceux qui dominent les logiciels en réseau réorganisant chaque secteur économique vont dominer le monde », assure Christian Saint-Etienne. Il suggère de « fonder la stratégie de réindustrialisation française sur les logiciels en réseau et la remontée des taux de profit du secteur productif », dans la mesure où « nous passons d’une économie hiérarchique de main d’œuvre à une iconomie relationnelle de cerveau d’œuvre », résume l’économiste, pour qui cette économie servicielle est riche en emplois.

Le sablier de l’emploi

Sur le plan de l’emploi, « la peur ancestrale que la disparition des emplois de l’ancien système de production ne se traduise par la disparition pure et simple des emplois est infondée », assure Christian Saint-Etienne. Les contemporains de la première révolution industrielle n’imaginaient même pas qu’elle permettrait d’employer beaucoup plus de monde.

Le changement est davantage lié à la structure des emplois, avec la coexistence de deux grandes catégories, résultat de l’apparition d’une économie en forme de sablier : d’une part, la multiplication des emplois hautement qualifiés et, d’autre part, le développement de ceux à base de gestes simples non facilement robotisables (services à la personne, restauration…). Quant aux autres, avertit l’économiste, « tous les emplois qui peuvent être réduits à des opérations séquentielles sans lien direct avec l’interprétation des attentes de clients personnes physiques, peuvent être exécutés par des robots. »

D’où l’importance des politiques de formation, avec deux suggestions : d’abord, « pour rester employable, l’homme ne doit pas lutter contre les ordinateurs et les robots, mais les mettre à son service, la collaboration home-ordinateur créant un être augmenté plus fort que l’ordinateur ou le robot. » Ensuite, « l’éducation doit favoriser l’acquisition de compétences permettant d’imaginer de nouvelles idées (créativité), de reconnaître les interconnexions modélisables et de maîtriser la communication complexe. »

Puisque tout devient réseau, assiste-t-on, dans les entreprises, à une proximité plus affirmée que par le passé ? Pas nécessairement. Pour Julie Bastianutti (maître de conférences à l’IAE de Lille) et Frédéric Petitbon (DG du cabinet IDRH), « le besoin de proximité entre collaborateurs et dirigeants n’a jamais été aussi fort, mais on perçoit une distance toujours plus grande. À l’ère numérique, cette distance peut sembler paradoxale. »

Cette situation s’explique en partie par la plus ou moins bonne maîtrise, par les entreprises, de plusieurs dimensions : spatiale (organisation des espaces de travail), temporelle (évolution des carrières), cognitive (langage professionnel), managériale (rôle du management de proximité). « La cheville ouvrière d’une proximité retrouvée reste en partie liée au succès d’un encadrement de proximité », soulignent les auteurs.