« Ne laissez pas un éditeur vous entraîner dans la mauvaise direction »

Franklin Brousse, avocat spécialisé dans les contrats et les litiges informatiques, est intervenu lors de la conférence-débat organisée par Best Practices SI sur les pratiques contractuelles des éditeurs d’ERP. Il nous livre ses réflexions et ses bonnes pratiques.

Quels sont les principes fondamentaux de la négociation avec un éditeur d’ERP ?

Franklin Brousse Il faut d’abord bien comprendre comment se déroule le processus de négociation contractuelle. On distingue quatre phases : la proposition commerciale, la négociation commerciale proprement dite, la validation juridique et la signature. L’éditeur a deux objectifs : d’une part, inciter le client à acquérir le plus possible de licences, et, d’autre part, sécuriser sa responsabilité et ses revenus.

Comment un éditeur parvient-il à atteindre ses deux objectifs ?

Franklin Brousse Pour parvenir au premier objectif, il mettra en valeur la diversité des modules de sa solution et les possibilités d’extension. Ensuite, il proposera à son prospect d’appliquer des remises de plus en plus importantes en fonction du nombre de licences acquises.

Pour parvenir au deuxième objectif, il va chercher à gagner du temps. Concrètement, il va essayer de retarder au maximum la négociation des termes du contrat et en diminuer au maximum la durée. Ainsi, l’éditeur va communiquer des modèles de contrat le plus tard possible, ou démarrer les négociations purement contractuelles également le plus tard possible.

La période la plus favorable se situe quelques jours avant la date prévue pour la signature ou la fin d’application de la remise, qui est d’ailleurs souvent liée à la fin d’un trimestre fiscal.

Pourquoi ne faut-il pas se laisser tenter par des remises importantes ? Cela peut être une bonne affaire pour le DSI ?

Franklin Brousse L’éditeur agit de la sorte, en proposant des remises substantielles, d’abord pour inciter le client à acquérir plus de licences qu’il n’en a raisonnablement besoin. Ensuite, et c’est plus subtil, il justifie ainsi le caractère non remboursable des licences par la remise consentie.

Il ne faut pas non plus négliger l’impact sur le coût de la maintenance, selon le principe des vases communicants : ce que l’éditeur consent d’un côté (un prix de licence très bas), il le récupère de l’autre (sur le prix de la maintenance). Autrement dit, pour l’éditeur, l’effet économique de la remise peut être relativement neutre.

En d’autres termes, pour un éditeur la remise a un effet commercial pour le client mais peu de conséquences financières pour lui. L’une des stratégies que peut proposer l’éditeur est celle dite du AYCE (« All You Can Eat »). Principe : la licence est associée à une duplication illimitée pendant une durée limitée (d’un à trois ans), avec une impossibilité de sortir du contrat pendant la période initiale, du fait du principe de reconnaissance de revenus que doit appliquer l’éditeur.

À la fin de la période, le client déclare le nombre de licences dupliquées, d’où un droit d’utilisation acquis pour la durée de protection légale. Le coût de la maintenance de la période initiale est basé sur le coût de la licence payé à la signature, mais le coût de la maintenance post-période initiale est, lui, basé sur le nombre de licences déclarées.

C’est une source de risque, car l’impact sur le coût de maintenance est très élevé si trop de licences sont déployées : il importe de réaliser un audit interne avant de déclarer les licences à l’éditeur.

Que peut-on négocier avec un éditeur ?

Franklin Brousse Contrairement à certaines idées reçues (voir encadré ci-contre), on peut négocier plusieurs éléments avec un éditeur : par exemple, le maintien de l’application des remises tarifaires plusieurs années après la signature du contrat de licence, possible jusqu’à sept ans ; un plafond de responsabilité égal à deux fois le montant des licences ; la réévaluation du nombre d’utilisateurs à la hausse comme à la baisse sans pénalités et avec une réduction proportionnelle du coût global de la maintenance, possible avec une limite en pourcentage par rapport au nombre initial d’utilisateurs; un nombre d’utilisateurs illimité et/ou une capacité d’utilisation illimitée, pour un nombre maximum de salariés donnés dans un groupe.

Et il est possible de cumuler tous ces avantages dans un même contrat. Dans le schéma traditionnel, l’éditeur présente un intégrateur agréé, et le contrat de licence est signé en même temps que le contrat d’intégration, sans savoir si le projet va aboutir et si les licences sont exploitées.

On observe actuellement une tendance à réaliser une étude de faisabilité par l’éditeur ou l’intégrateur avant la signature du contrat, soit en avant-vente par l’éditeur à titre gracieux ou à un tarif préférentiel, soit par l’intégrateur dans le cadre d’une prestation à part entière dont le résultat conditionnera la suite du projet et l’achat des licences.

L’intérêt pour le DSI est de valider la faisabilité du projet, la couverture fonctionnelle et le coût du projet.

Comment reprendre le contrôle et convaincre un éditeur de concéder des avantages ?

Franklin Brousse Il ne faut pas se laisser prendre la main par l’éditeur qui peut vous entraîner dans la mauvaise direction. Il importe donc d’être très exigeant dès le départ, d’être à la fois imaginatif et stratège : en pratique, beaucoup de choses sont possibles.

Et ne pas hésiter à demander des choses pour en obtenir d’autres, par exemple, pour obtenir un nombre illimité d’utilisateurs, exiger une révision à la hausse comme à la baisse du nombre d’utilisateurs sans pénalités.


Cinq idées reçues

  1. Les contrats de licence et de maintenance sont des documents standard dont seules les conditions financières doivent être réellement négociées. C’est faux. Les contrats sont la formalisation du deal commercial et financier passé avec l’éditeur. Chaque situation requiert un contrat spécifique, pour gérer notamment le périmètre des droits d’utilisation, l’évolution du nombre d’utilisateurs, les différentes métriques et les conditions financières. Ces éléments sont différents selon les entreprises et les projets. La bonne pratique consiste à négocier âprement toutes les clauses du contrat, au risque d’y être contraint ultérieurement.
  2. On ne peut pas imposer son propre contrat de licence ou de maintenance à un éditeur ERP. C’est faux. Non seulement c’est possible, mais c’est fortement recommandé, car cela permet de prendre la main sur les négociations. Les bonnes pratiques consistent, d’une part, à communiquer son contrat le plus tôt possible, dès le stade de l’appel et donc sa vision du périmètre d’utilisation des licences, des modalités financières d’acquisition des licences, des modalités de maintenance…
  3. On ne peut pas impliquer l’éditeur dans le projet d’intégration. C’est faux. C’est possible, même si l’éditeur préconise un intégrateur. Les bonnes pratiques consistent à obtenir d’abord l’appui de l’éditeur au travers de contrôles technico-fonctionnels à chaque étape-clé du projet. L’éditeur, qui n’a pas vocation à se substituer à l’intégrateur, peut donner un avis sur les travaux réalisés (spécifications, maquettes, pilote …). Ensuite, il est pertinent de conclure un contrat d’assistance. Enfin, on veillera à éviter une dérive préjudiciable du projet du fait de l’intégrateur, particulièrement dans les domaines où les modules standard de l’éditeur ne sont pas complètement adaptés et où de nombreux développements spécifiques et/ou adaptations s’avèrent nécessaires.
  4. On peut obtenir les droits de propriété intellectuelle sur les développements spécifiques et/ou adaptations de modules standard. C’est faux. L’éditeur s’inscrit dans une logique de standardisation – progicielisation des développements dans l’intérêt du client pour réduire les coûts de maintenance et également obtenir une prise en charge d’une partie des coûts de développements. Il peut y avoir des exceptions, par exemple pour des développements directement liés au savoir-faire du client et/ou à une opération métier spécifique du client. N’oublions pas que lorsque l’éditeur cède ses droits, il interdit de commercialiser les adaptations.
  5. On peut obtenir facilement le remboursement des licences en cas d’échec du projet d’intégration. C’est faux, notamment du fait du principe comptable de reconnaissance de revenus par l’éditeur. Il faut contourner ce problème par la voie contractuelle ou par la voie judiciaire.