Patron de prod’

Directeur de la Production (ou des opérations, ou des infrastructures) informatiques ; on sent le côté sympa de l’appellation, on imagine quelqu’un de plutôt bourru, l’esprit concret et ne lésinant pas sur les efforts pour faire tourner la boutique. Les pieds ancrés dans l’animation de ses troupes, soucieux du bon fonctionnement de son usine.

Le type de personne prêt à se lever à 4h du mat’, en qui on a toute confiance et sur qui on peut infailliblement s’appuyer. Cette image d’Epinal du vingtième siècle est en train de disparaître : les enjeux SI ne sont plus seulement sur les projets mais le nouveau centre de gravité se déplace vers les opérations.

Le maître mot est celui de la continuité des services. L’entreprise ne supporte plus que son SI s’arrête, et ce dernier permet maintenant aux entreprises d’offrir des produits ou services impossibles à fournir sans informatique. Autrement dit, c’est un peu l’heure de la revanche du soutier, celui qui travaille sans gloire dans le tréfonds des salles informatiques.

La production regroupait en gros les opérations dites d’exploitation des applications ; ce territoire s’est étoffé et diversifié ; aujourd’hui, on trouve dans le terrain de jeu l’ensemble des opérations à savoir : l’architecture technique, l’ingénierie, l’exploitation proprement dite, la gestion des infrastructures informatiques, la gestion des infrastructures physiques (les datacenters) et ce, sur les domaines des serveurs, du réseau, des postes de travail. Cet ensemble est fortement connecté avec l’extérieur (avec les réseaux B2B, et de plus en plus B2C). C’est la première révolution de la production.

La deuxième révolution est venue d’ITIL : finalement ITIL a conceptualisé le mode de travail historique de la production (des services récurrents) ; je gère un ensemble en fonctionnement, et ce fonctionnement peut être perturbé par deux éléments essentiels qui sont les incidents qui surviennent, ou les changements que je dois intégrer dans le système, il est donc structurant de maîtriser ces 2 processus pour mieux fonctionner.

Ce qui suppose d’être en interaction explicite avec mes demandeurs, à savoir les utilisateurs et les décideurs des métiers. Pour m’en faire comprendre, il faut passer par une étape qui décrit ce que je fais pour eux, quels sont les services que je leur rends. Une fois ces services décrits, je m’engage sur des niveaux de service et mets en place un modèle de fourniture des services (Service Delivery Model) pour les réaliser.

Et voilà, je positionne de nouveaux postes, en particulier de Service Manager, Service Delivery Manager, Process Manager et je suis en ordre de marche.

Les prestataires de services et en particulier les infogérants et TMistes ont mis en œuvre ces nouveaux modèles, ce qui leur a permis de mettre en place une nouvelle génération de modèle de services, qui non seulement tire parti de l’approche orientée services, mais aussi des évolutions technologiques et de la mondialisation.

Ainsi les centres de pilotages sont de plus en plus éloignés physiquement des datacenters, et l’existence d’outils et de modes de fonctionnement standards poussent l’industrialisation du métier à tel point que la barrière de la langue n’est plus un problème majeur. Les services offerts à la fois se spécialisent (en terme de compétences) et se globalisent évoluant vers par exemple du SaaS. L’émergence du cloud fait apparaître des services dont on ne sait même pas prédire où ils seront physiquement opérés. C’est la troisième révolution de la production.

Revenons à notre patron de prod, que devient-il dans tout ça ? De deux choses l’une : soit il reste sur son terrain historique de l’exploitation des applications en production et est maintenant sous la responsabilité d’un Responsable des opérations, soit il est devenu lui-même Directeur des opérations.

Soyons optimiste pour sa carrière, et traitons le second cas ; quels sont les défis que doit relever notre Directeur pour intégrer les 3 révolutions touchant son métier ? Il doit mettre en œuvre deux préceptes quasi antinomiques : d’un coté industrialiser son modèle de fourniture de service, en disposant de ressources techniques adaptées fonctionnant sur des modes et des équipements très standardisés ; de l’autre, changer en profondeur son organisation pour mettre le client (utilisateur, responsable d’applications…) au cœur de son mode de travail et s’assurer de la satisfaction de son client.

Bien franchement, les organisations de production sont aujourd’hui encore en majorité très centrées sur les problématiques techniques et perçoivent les perturbations subies par les utilisateurs comme certes regrettables mais inévitables si l’on souhaite conserver des plates-formes à niveau. La première légitimité dans les organisations de production reste celle de la compétence technique.

Organiser les équipes autour de la notion de service, les habituer à rendre des comptes sur le prix des services produits et leur qualité, s’attacher à être en capacité de faire décroître le nombre d’incidents et d’accroître le nombre de changements est un vrai défi pour le management. Identifier les personnalités qui sauront porter et animer une relation client, ou échanger avec le contrôle de gestion, et les intéresser à ces nouveaux métiers des opérations est fondamental pour une transformation réussie.

Le sourcing IT est également un formidable levier à maîtriser pour transformer l’organisation des services récurrents. Jusqu’ici, la question que se posait la DSI concernant le sourcing était « faire, ou faire faire ? » : la transformation associée était alors de changer le rôle de réalisateur en rôle de pilote de ces mêmes réalisations.

La question de base change, le Directeur des opérations se pose maintenant la question « faire, ou faire faire, ou acheter le service tout fait ? » : on voit en effet émerger des offres concernant des domaines très techniques tels que la gestion de messagerie, ou la mise à disposition de plateformes de développement, ou encore de la puissance traitement on-demand.

Il s’agit là de se transformer en « Acheteur de services complets », de connaître les fournisseurs de ce marché, d’en peser les enjeux en termes techniques (par exemple comment s’assure-t-on de la garantie de disponibilité ?) et contractuels (par exemple coure-t-on des risques liés à la propriété des éléments portés par les infrastructures ?).

Ces nouvelles offres peuvent bouleverser les pratiques d’achats actuelles, en particulier celles concernant l’acquisition de matériels ou de licences logicielles. Gérer ces offres demande un savoir-faire propre qu’il faut acquérir en interne de l’entreprise.

Oui, mais alors : quel est le « bon niveau » de conservation des compétences techniques que l’on doit conserver en interne au sein de la Direction des opérations ? Réponse : ça dépend…en fait l’équation fait intervenir le management des risques : il est rarissime qu’une direction de la production dispose de toutes les ressources de fonctionnement en interne.

Quand bien même la DSI le souhaiterait, on constate dans la pratique qu’une bonne part de ces ressources est externe, avec souvent des « fausses maîtrises », à savoir des organisations qui croient maîtriser la technique simplement parce que les sous-traitants qui en sont chargés sont dans leurs locaux.

Fondamentalement, si un ensemble d’activités est confié à l’extérieur, un des objectifs est évidemment de ne pas conserver exactement la même compétence en interne, sinon on ne gagne rien…

Néanmoins, négliger la part de technicité nécessaire au bon fonctionnement du SI serait une grave erreur et la bonne maîtrise des choix d’architecture, de socles et d’outillage de la production doivent pouvoir être correctement validés par les ressources propres des opérations.

Orientation service, réactivité et clarté vis-à-vis des Métiers, maîtrise de l’achat de services externes et management technique, tels sont les défis que doit relever le Directeur des opérations ; cela demande des profils expérimentés et engagés, qui auront désormais voix au chapitre des grandes décisions touchant le SI.

Cet article a été écrit par par Catherine Le Louarn, directeur associé Solucom.