Pierre Bisson, directeur informatique d’Unica : « Le tableau de bord doit être un vecteur de communication de la stratégie »

Unica, un des centres informatiques de l’Urssaf, a une compétence nationale pour le décisionnel. Et produit des tableaux de bord détaillés pour les managers de l’organisme de recouvrement.

Dans quel contexte avez-vous développé des tableaux de bord ?

Pierre Bisson Unica est l’un des centres informatiques de la branche recouvrement de la Sécurité sociale (Urssaf). Le recouvrement est organisé autour d’une caisse nationale (l’Acoss, Agence centrale des organismes de Sécurité sociale), cent cinq Urssaf, quatre caisses générales de Sécurité sociale et sept centres informatiques, soit, au total, 13 500 personnes.

Chaque année, prés de 400 milliards d’euros sont collectés auprès de six millions de cotisants. Le besoin de pilotage est lié à la signature, tous les quatre ans, depuis plus de dix ans, d’une COG (convention d’objectif et de gestion) entre l’Acoss et l’Etat et qui est déclinée pour les Urssaf. En outre, depuis quatre ans, des indicateurs d’intéressement influent sur les primes payées aux collaborateurs des Urssaf.

Par ailleurs, l’évolution du métier des Urssaf, vers davantage de contrôles, de front-office, d’offres de services, accentue ce besoin de pilotage. L’Unica est le centre de compétences en matière décisionnelle, dont nous avons la responsabilité depuis 1996, date à laquelle nous avons construit notre premier entrepôt de données.

Il s’agissait de répondre aux besoins, au niveau national, d’avoir une vision globale et de disposer d’outils de pilotage, par exemple pour analyser l’activité des huissiers, déterminer le profil des cotisants, suivre les flux et les taux de rendement…

Mais, dans un premier temps, nous nous sommes contentés d’un pilotage opérationnel, nous n’avons pu bâtir un véritable tableau de bord, dans la mesure où les Urssaf restent propriétaires de leurs données. Pour les 105 Urssaf, nous avions 105 bases de données…

Le constat était simple : nous utilisions beaucoup d’échanges à travers Excel, des tableaux de bord étaient développés localement, sans véritable harmonisation des règles de gestion.

Par ailleurs, ces approches nécessitaient des ressaisies, des charges de retraitement et de mise en forme de l’information. D’où des divergences de vues inévitables sur la qualité des chiffres.

Un consensus est vite apparu sur la nécessité d’un outil unique et collaboratif, reposant sur plusieurs principes : privilégier les informations existant dans les entrepôts, livrer des outils d’analyse associés, insister sur la transparence des données (benchmarking entre Urssaf), et automatiser les opérations.

En effet, des datamarts, plus ou moins bien intégrés à l’entrepôt principal, ont été construits pour répondre à des besoins urgents. Parallèlement, les besoins de la caisse nationale (l’Acoss) ont conduit à la mise en place également de datamarts dédiés. Certes, l’existence de ces entrepôts a grandement facilité l’accès aux données pour différentes classes d’utilisateurs (les statisticiens étant les plus friands).

En revanche, très vite, des tableaux de bord d’initiative locale ont commencé à foisonner, chacun ayant, bien sûr, fabriqué le meilleur. Mais quid des règles d’alimentation ? Des règles de calcul ? Par ailleurs, le réseau évolue et la mutualisation prônée entraîne des besoins de consolidation aux niveaux de plusieurs Urssaf, d’une région, voire d’une interrégion.

On peut définir les meilleurs indicateurs qui soient, cela sera inutile si les données ne sont pas disponibles ou peu fiables. De plus, il ne doivent pas être équivoques. Les tâches de collecte doivent être automatisées tant que possible. Aujourd’hui, 70 % d’entre elles sont automatisées et proviennent principalement des entrepôts qui garantissent l’intégrité des « photos ».

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Pierre Bisson Nous initions un nouveau schéma directeur et le décisionnel va être, bien sûr, concerné. D’autant que la demande de chiffres s’accentue : de la part du réseau (à l’Acoss et dans les régions) mais également de la part des autorités de tutelle (ministères). Le SNV2 (système national version 2), développé par la branche Recouvrement, est un applicatif qui gère la partie métier des Urssaf.

Du fait de la spécificité de nos activités, il n’existe pas d’ERP adapté à notre organisation, nous avons donc construit des entrepôts de données avec nos propres outils. Pour le reporting, nous avons choisi Cognos : il nous fallait un outil accessible aux utilisateurs (les Urssaf), pour les restitutions de données, et qui ne soit pas complexe.

La multiplication des strates (entrepôts, datamarts) nous a en effet régulièrement contraints à rénover nos systèmes, d’autant que les technologies avaient progressé. Ainsi, en 2000, nous avons pris la décision de refondre l’ensemble du système décisionnel, ce qui a donné lieu à deux projets majeurs : Galaxie et Pleiade. Le premier a pour objectif de récupérer les données de toutes les Urssaf et d’utiliser la modélisation en étoile pour répondre à un utilisateur qui se pose une question.

Il s’agit de satisfaire les besoins de pilotage « local » (région ou interrégion) avec une transversalité complète et une granularité fine (le jour pour la plupart des événements, mais la seconde pour les plates-formes téléphoniques). Galaxie repose sur huit grands entrepôts sur un modèle identique (un dans chaque interrégion).

Pour sa part, Pleiade a un rôle d’observatoire économique et répond aux besoins de pilotage de la branche pour l’Acoss. Il s’agit d’un entrepôt national qui réalise la synthèse des données des Urssaf et des centres nationaux de traitement comme le Cesu (chèque emploi service universel), et la Paje (prestation d’accueil du jeune enfant).

Au départ, pour le pilotage local, il y avait un entrepôt de données par Urssaf mais, aujourd’hui, ils sont tous concentrés dans huit bases de données. Comme il n’est pas possible de faire du décisionnel sur des données de production qui changent en temps réel, l’intérêt des entrepôts de données est de figer l’information pour effectuer des comparaisons.

Nous utilisons une modélisation en étoile, approche très itérative : lorsque l’entrepôt évolue, il est facile d’ajouter des éléments. D’autant que nous traitons d’énormes volumes : l’équivalent de huit fois 1,5 téraoctet, mis à jour quotidiennement (contre tous les mois auparavant). Fin 2008, l’exploitation des anciens entrepôts sera complètement arrêtée.

Quels types de tableaux de bord avez-vous construits ?

Pierre Bisson Nous proposons deux tableaux de bord (basés sur Cognos 8 Metrics). Le premier, national, est bâti sur des indicateurs incontournables, demandés par les autorités de tutelle, et liés aux conventions d’objectifs et de gestion qui couvrent quatre axes : perfectionner le service rendu au cotisant, améliorer les performances du recouvrement, optimiser la gestion de trésorerie et renforcer le pilotage et l’efficience du réseau des Urssaf.

Au total, le tableau de bord national regroupe 200 indicateurs (dont les règles de gestion sont validées et non opposables), chacun étant décliné pour les 105 Urssaf.

Pour accroître la lisibilité, nous avons isolé les listes des dix indicateurs qui sont les meilleurs, ceux qui sont les moins bons, ceux qui connaissent la progression la plus forte et ceux qui sont en baisse. Tous les indicateurs ont été travaillés dans des comités de pilotage qui définissent les règles de calcul (validées par des statisticiens), la sémantique et les sources des données.

Tout le monde obtient donc le même résultat. Avec un outil unique accessible à tous, on ne veut plus se poser la question où, quand et comment on va chercher ses indicateurs.

Le second tableau de bord est destiné aux Urssaf, pour une utilisation locale. C’est leur outil de travail au quotidien. Il regroupe 600 à 700 indicateurs, chaque utilisateur n’a pas besoin de les avoir tous. Nous avons privilégié une approche processus : pour chacun d’entre eux, nous identifions quels sont les indicateurs d’objectifs associés.

Pour chaque grand indicateur du processus, des indicateurs opérationnels pouvant influer significativement sur les résultats sont proposés comme leviers ou microleviers de performance. Pour chacun, nous associons des images, des couleurs et des tendances pour mieux repérer son évolution.

Un pilotage optimal repose sur une sélection d’indicateurs. Il est en effet impossible d’appréhender une réalité et de prendre une décision avec deux indicateurs ou, à l’inverse, si l’on en a plusieurs centaines : dix à quinze indicateurs par processus seraient l’idéal.

Comment inciter les utilisateurs à s’approprier l’outil ?

Pierre Bisson Le décisionnel n’étant pas une application métier, son utilisation n’est évidemment pas obligatoire et tout dépend de la culture des managers. Il nous fallait un sponsor, nous avons créé un comité de pilotage, avec un directeur d’Urssaf comme directeur de projet délégué.

Nous avons demandé aux utilisateurs de modéliser leur métier : pour cela, nous avons mis en place des groupes d’utilisateurs, animés par des chefs de projets utilisateurs (CPU), groupes dans lesquels les informaticiens étaient « interdits de séjour ». L’avantage de la modélisation en étoile est que l’utilisateur retrouve, dans le résultat, ce qu’il a construit sur papier.

Sur quels outils vous appuyez-vous ?

Pierre Bisson Le problème est que si l’on n’agit pas, les utilisateurs développent leurs propres outils et, bien sûr, ils considèrent qu’il s’agit du plus bel outil du monde, parfaitement adapté à leurs besoins. Si Excel et un formidable outil de productivité personnelle, ce n’est vraiment pas un outil collaboratif.

Pour faire accepter un outil national, qui ne cherchera pas à reprendre l ‘exhaustivité des tableaux de bord locaux, il faut « vendre » de la technologie. Pour « vendre de la technologie », il faut bien l’emballer, montrer face à des réalisations « artisanales » les avantages d’une solution centralisée, donner des fonctionnalités à forte valeur ajoutée.

L’une des difficultés du décisionnel est qu’il est fait pour des utilisateurs qui doivent s’approprier les outils informatiques. Or, dans nos organisations, les managers aiment toujours le papier.

Nous diffusons une lettre d’information, baptisée Des Nouvelles des étoiles : publiée trois fois par an, à destination des directeurs d’organismes, elle présente, en plus des focus sur les différentes composantes du système d’information décisionnel et des articles thématiques accompagnés d’une mascotte (Zirka) qui répond aux questions des utilisateurs, issue d’un premier didacticiel « interstellaire », avec des planètes qui identifient les différents périmètres.

Quel bilan tirez-vous ?

Pierre Bisson L’application du tableau de bord national est devenue rapidement la référence en matière de décisionnel. Nous avons gagné en fiabilité des informations et en temps. De même, le benchmarking sur le tableau de bord national a été bien accepté, ce qui a d’ailleurs contribué à enrichir le dialogue sur les pratiques de gestion.

Cependant, il faut prévoir davantage d’accompagnement du management peu habitué à l’informatique, moins patient et très exigeant, par exemple en offrant la possibilité d’éditer les tableaux de bord sur papier.

Nous avons donc développé de nombreux rapports disponibles très facilement à partir de la base Cognos Metrics (historique des indicateurs avec des commentaires, plans d’actions associés et leurs pilotes). Le tableau de bord doit être un vecteur de communication de la stratégie dès lors que les indicateurs sont pertinents et les mesures adaptées.


Les atouts du tableau de bord, pierre angulaire du système de management

  • Clarifier et actualiser la stratégie.
  • Communiquer dans toute l’entreprise.
  • Aligner les objectifs des départements et des individus sur la stratégie.
  • Identifier et harmoniser les initiatives stratégiques.
  • Adapter les objectifs stratégiques aux objectifs à long terme.
  • Relier bilans stratégiques et bilans opérationnels.
  • Obtenir un retour d’expérience qui favorise l’apprentissage et l’amélioration de la stratégie.

(source : Unica)


Les best practices de Pierre Bisson

  • Limitez le nombre d’indicateurs pour éviter les dérives.
  • Facilitez la visualisation des impacts entre indicateurs.
  • Définissez une sémantique commune à tous les utilisateurs, pour garantir l’unicité des noms d’indicateurs.
  • Ouvrez la saisie aux utilisateurs à la marge, sur certains indicateurs ou sur des cibles intermédiaires ajoutées localement.
  • Chaque acteur, quel que soit son niveau, doit pouvoir suivre ses objectifs et l’impact de son action sur les indicateurs stratégiques et donc sur la performance globale.
  • Automatisez la tâche de collecte autant que possible.
  • Prenez en compte, pour les utilisateurs, leur attachement aux outils locaux, et l’importance de la culture papier et d’Excel.
  • Proposez des indicateurs et des fonctionnalités que les utilisateurs ne peuvent développer eux-mêmes.
  • Associez aux historiques des indicateurs des commentaires et des suggestions de plans d’actions.
  • Dès les premières livraisons, publiez des nouveautés attirant la curiosité ou répondant à de nouveaux besoins des utilisateurs.
  • Assurez-vous que les utilisateurs puissent projeter leurs besoins métiers dans l’outil. Trouvez une dynamique d’expression des besoins de l’utilisateur final, afin que ces demandes soient exprimées a priori et non revendiquées après coup.
  • Communiquez de façon permanente, pas seulement en début de projet ou sur des points critiques.
  • Ne changez pas trop souvent de version d’outil, notamment si elle nécessite des efforts de formation.