Portrait du Digital Native

Une société d’étude, BVA, s’est immergée pendant près de trois mois, dans la vie d’une centaine de jeunes, âgés de 18 à 24 ans, répartis sur huit régions et tous issus de la première génération numérique. Cette étude, GENE-TIC a observé leur milieu et leurs interactions avec les autres, en les suivant dans leurs parcours quotidiens, numériques et réels, en les interrogeant sur leurs perceptions et leur appréhension de l’environnement, conscientes et inconscientes…

GENE-TIC cherche à comprendre ce que le numérique a eu comme influence cognitive et psychologique sur ces consommateurs qui représenteront plus de 30% de la population dans moins de cinq ans.

Comme l’ont montré plusieurs études scientifiques démarrées aux Etats Unis à Harvard en 2007 portant notamment sur leur activité cognitive, leur conscience du réel, leurs capacités intellectuelles, leur vision sociale en ont été fondamentalement transformées.

Si le « Digital Natives » peut être perçu par un quadragénaire, a priori comme superficiel, ne respectant pas l’autorité, démuni de morale et d’espérance, cette étude montre aussi qu’il n’a surtout pas les mêmes motivations et les mêmes représentations que ses aînés. Influencé par le monde numérique, son rapport au temps, à l’espace, à l’information, à la morale, à l’autorité, aux marques, est radicalement différent.

Joignabilité permanente, immédiateté des échanges, multiplicité et choix constants des modes de communication et des contenus échangés, sont les principes qui définissent désormais ses relations avec les autres.

Cette influence numérique modifie profondément ses repères :

  • De temps : Réduction du temps d’accès à l’information, multitasking… L’individu numérique déteste les temps morts et l’inactivité et comble ces vides par une hyperactivité numérique.
  • D’espace : La globalisation (marques, médias, séries télé…) et son environnement numérique font qu’il ne se sent jamais dépaysé lors de ses déplacements à l’étranger. Cette homogénéisation lui semble normale et il sait qu’il pourra toujours être prévenu d’un changement.

Le mécanisme du jeu se retrouve dans la plupart de ses usages : ruser, trouver les bons plans, être malin sont ses principales postures, quand il consomme ou quand il travaille.

Habitué à zapper en permanence avec ses outils numériques, il conforte cette habitude dans la vraie vie en cherchant à contourner les problèmes. Evitant au maximum l’affrontement, il présuppose que, comme sur Google, il y a toujours une solution au problème, parfois radicale : il n’est pas satisfait de son travail il arrête, il n’a pas assez d’argent pour acquérir un bien, il recherche le bon plan…

Le plaisir de consommer ne se situe plus dans l’acte d’achat mais dans le plaisir que le Digital Native va éprouver à dénicher la bonne affaire. Capable de décrypter tous les procédés marketing de communication, il n’est pas dupe.

Conscient du discours artificiel et parfois mensonger des marques, il est cependant attaché à des marques emblématiques, en particulier dans le matériel numérique.

Son rapport aux marques a changé : elle est à la fois une institution et un étendard derrière lequel on se positionne. Grâce à Internet, l’individu numérique s’est doté d’un pouvoir d’influence qui lui permet de revendiquer son attachement à une marque ou de la dénigrer. Parfaitement conscient de vivre dans un environnement changeant et incertain, il est lucide quant à la situation réelle et se sent déconsidéré par les autorités qui l’entourent : politiques, médias, marques.

Les politiques manquent de crédibilité à ses yeux. Leurs procédés démagogiques sont décryptés, les discours « langue de bois » sont immédiatement repérés. Alors que les réflexes écologiques sont acquis (tri sélectif, motorisation propre…), les aspects environnementaux ne le préoccupent guère plus que ses aînés, et sont considérés comme détournés par les entreprises à des fins mercantiles.

Dans son environnement professionnel, il respecte la compétence mais pas l’autorité liée à la hiérarchie ou à l’âge et n’a que faire des dimensions statutaires. En revanche, il éprouve une estime et une admiration marquées pour ses parents qui, selon lui, se sont battus pour améliorer leurs conditions de vie et pour défendre des acquis, persuadé aussi qu’il vivra matériellement moins bien qu’eux.

Ce regard désenchanté sur les institutions et sur la collectivité, l’amène à se replier sur une petite communauté, qui lui assure protection et sécurité et dont le lien est toujours actif du fait des outils numériques utilisés.

Si le groupe proche (amis et famille 10 à 30 personnes maximum) représente les personnes en qui il a une totale confiance, il développe en revanche une attitude plus défensive à l’égard du monde inconnu qu’il considère comme potentiellement menaçant. La cohésion sociale n’est plus définie à un niveau transcendant, mais principalement dans ce petit groupe ; au-delà, ce sont les stratégies d’évitement, ou le cas échéant, la ruse qui prévalent.

Si l’individu numérique sait parfaitement qu’il est submergé d’informations, d’actualités contradictoires et redondantes, son principal challenge réside dans la valorisation de ce flux pléthorique. Pour lui, toutes les informations sont accessibles, toute question peut trouver réponse. L’enjeu est de savoir les trouver rapidement : le groupe est là pour l’aider dans la sélection des actualités, dans la recherche de réponses, dans la validation de données.

Ce phénomène est d’autant plus vrai que l’information a une durée de vie très limitée et qu’elle est fragile : savoir si l’information est vraie a finalement peu d’intérêt pour lui. Il va la chercher où il peut la trouver, le plus facilement possible : réseaux sociaux et wikipedia. Le consensus sur l’information définit l’utilité de l’information, donc sa valeur.

Face à ces informations multiples, contradictoires, provenant de sources différentes, associées à une défiance face à l’autorité et aux inconnus, la notion de vérité et par extension les notions d’éthique et de morale sont fondamentalement remises en questions. Autant ces valeurs ont de l’importance pour l’individu numérique au niveau individuel et du groupe proche, autant il les appliquera plus difficilement à la société en qui il a moins confiance.

Les pratiques numériques récurrentes ont fait émerger de nouveaux comportements impactant le rapport à l’apprentissage du Digital Native :

  • La réduction du temps d’accès à l’information entraîne une certaine impatience et donc un besoin d’accéder aux connaissances de manière rapide.
  • Le multitasking (combinaison d’usages simultanés du téléphone, Télé, PC…) engendre des difficultés de concentration et un besoin d’activités variées pour éviter la lassitude.
  • L’expérience sensorielle proposée par le numérique, conduit le Digital native à privilégier les supports de connaissance les plus pratiques et les plus illustrés tant dans le fond que dans la forme.

D’où le succès de la professionnalisation des cursus donnant la part belle aux formations courtes et concrètes (type alternance).

L’individu numérique connaît les codes d’intégration au monde du travail et accepte d’y répondre pour gagner sa place.

  • Ils ont intégré une nécessité d’adaptation : mobilité géographique, flexibilité quant au statut (précarisation des contrats), pratique linguistique multiple.
  • Ils savent comment les recruteurs recherchent des informations sur leur candidature : recherche de visibilité sur le net via les réseaux professionnels (Viadeo, Linkedin) ; utilisation des paramètres de sécurité sur les réseaux sociaux (facebook…) pour séparer vie privée et professionnelle.

Dans le même temps, face à la réduction des salaires, à la généralisation des indemnités de stage, à la précarisation des emplois et aux manques d’offres, les jeunes numériques sont devenus très pragmatiques, voire cyniques face à la relation à l’entreprise. On n’est plus dans un rapport de séduction réciproque, mais dans une négociation plus concrète, plus pratique, dans laquelle l’employeur doit aussi justifier d’un ensemble d’atouts bien tangibles et immédiats :

  • les avantages en nature et la protection sociale,
  • la politique de congés et de RTT,
  • les horaires et l’ambiance,
  • les programmes de formation.

Dans ce contexte, les promesses d’évolution, la politique de carrière sont considérés avec beaucoup de détachement, à la fois en regard des incertitudes qui pèsent sur l’environnement économique, mais aussi en conséquence d’une perte de confiance dans l’entreprise, phénomène qui n’est pas propre à cette génération, mais à une époque.

Face à la liberté, l’efficacité apparente et l’extrême réactivité du monde numérique, l’immersion dans le monde de l’entreprise est un choc pour le Digital Native, qui découvre des notions quasiment absentes sur le Net : la hiérarchie, les process, le contrôle, les interdictions (utilisations de MP3, du mobile, Facebook et chat), la division des tâches, leur exclusivité professionnelle… Les conventions de langage sont différentes, les moyens numériques sont plus étriqués, la circulation de l’information est plus aléatoire.

L’entreprise, déjà suspecte de s’accaparer la richesse produite par ses salariés, devient le lieu de tous les arbitraires :

  • Un cadre horaire imposé ou inflexible.
  • Des exigences de reporting trop fréquent.
  • Des décisions arbitraires, sans explications de leurs motifs.
  • Des écarts du droit du travail sans compensations (horaires ou financement).
  • Des humiliations publiques (critiques négatives non constructives, réprimandes devant les collègues, ton impératif…).

La génération numérique ressort comme une génération de communicants dont les besoins relationnels dictent en grande partie leur motivation et implication au travail :

  • Une convivialité et un bien-être individuel au sein de l’équipe de travail.
  • Une importance du travail comme vecteur de lien social (sentiment d’appartenance).
  • Un sentiment de liberté individuelle (autonomisation et responsabilisation de chacun).
  • Un respect de la personne (politesse, structure horizontale des relations).
  • Une valorisation et reconnaissance du travail et des capacités individuelles (management positif).
  • Une variété et une diversité des tâches.