Pourquoi il faut gérer les données comme des actifs financiers

Combien de dirigeants d’entreprises affirment très sérieusement que les données constituent l’actif le plus important pour eux ? Beaucoup… Combien agissent de manière à les valoriser correctement ?

« Très peu », affirme Douglas Laney, consultant chez Gartner et auteur d’un intéressant ouvrage sur ce thème, dans lequel il met en exergue le fait que « les dirigeants consacrent davantage de budgets à scruter leurs dépenses en fournitures de bureau et en postes de travail, plutôt qu’à leurs actifs informationnels. Et les rapports transmis au comité de direction concernent la santé des collaborateurs, la performance financière ou des partenariats, mais jamais la santé des actifs informationnels. »

La principale justification serait que la comptabilité ne peut prendre en compte ces actifs informationnels. Mais, pour Douglas Laney « à l’âge du numérique, accuser des approches comptables poussiéreuses ne constitue en rien une excuse valable pour refuser de gérer, monétiser, mesurer et valoriser l’information comme un actif à part entière. » C’est davantage l’effet d’une « barrière mentale » des dirigeants qui les empêchent de penser « au-delà de la simple vente d’informations. »

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Infonomics, how to monetize, manage and measure information as an asset for competitive advantage, par Douglas Laney, Routledge-Bibliomotion, 320 pages.

Des réticences à tous les étages

Les justifications pour agir dans ce sens ne manquent pas : les organisations pourraient considérablement améliorer leurs performances opérationnelles, la maintenance des équipements, les processus de production, la qualité, les volumes de ventes et la R&D. Autre justification, expose l’auteur : « Qui voudrait de nos données ? Elles sont trop liées à nos processus métiers. » Sous-entendu : des tiers ne pourraient vraiment rien en faire, surtout si les partenaires et les fournisseurs exercent des métiers similaires. Et s’ils ne savent pas identifier ce qui a de la valeur, il y a peu de chances qu’ils s’y intéressent.

« D’où l’intérêt, pour une entreprise, de développer son propre marché et d’inventorier ses actifs informationnels. » Selon Gartner, seulement 20 % des entreprises monétisent leurs informations, sous forme de licences ou d’échanges. Et seulement un tiers en mesure les bénéfices.

L’information est donc un actif comme un autre. Rappelons qu’un actif a trois caractéristiques principales : il est possédé et contrôlé par un individu ou une organisation, il a une valeur d’échange sur le marché et sa valeur est susceptible d’augmenter avec le temps. Ce qui caractérise parfaitement des actifs financiers ou immobiliers s’applique également aux actifs immatériels, telles que les données et l’information.

N’importe quelle entreprise possède des données, qui ont forcément une valeur, celle-ci s’appréciant régulièrement, on le voit, par exemple, avec les données sur les clients et leurs historiques d’achats. Il y a toutefois des différences entre les actifs informationnels et les actifs physiques : « Les premiers sont réutilisables facilement, s’adaptent à des contextes évolutifs, ne sont pas taxés, sont duplicables, transférables à l’infini et, surtout, porteurs de bénéfices potentiels exponentiels. » Et, à la différence d’une pizza, qui disparait quand elle est consommée, l’information ne s’évapore pas, elle est inaltérable.

A la recherche du trésor informationnel caché

La valorisation des données peut être directe, lorsqu’elle contribue à générer des revenus supplémentaires, ou indirecte, lorsqu’elle participe à la réduction des coûts, des risques ou à l’amélioration de la productivité. De quoi donner lieu à une multiplicité des business modèles.

L’auteur propose un certain nombre d’exemples concrets d’entreprises, principalement américaines, qui sont plus avancées dans la monétisation de leurs informations, par exemple dans la grande distribution (Walmart), le secteur des télécommunications, l’assurance ou l’industrie.

Ainsi, toutes les entreprises sont potentiellement assises sur « un trésor caché », affirme l’auteur, qui estime dommage que les habitudes de donner l’information à des tiers, au lieu de la vendre, perdure. « Si vous n’êtes pas dans le business de l’information, vous devriez y être », suggère Douglas Laney.Comment faire ? L’auteur propose une démarche en sept étapes :

  1. Dédier une fonction à la monétisation des données, même s’il existe déjà un Chief Data Officer dans l’organisation (il peut en piloter l’activité).
  2. Cartographier et maintenir à jour les actifs informationnels, y compris ceux de tiers et les Dark Data. Il faut également distinguer l’information sensible, sa nature propriétaire, les impacts sur la vie privée, le degré de qualité et les données externes (Open Data)…
  3. Élaborer et évaluer les scénarios de monétisation à la fois directe et indirecte.
  4. Repérer les bonnes idées de valorisation mises en œuvre dans d’autres entreprises ou dans d’autres secteurs.
  5. Tester toutes les idées pour évaluer leur faisabilité. Il faut notamment prendre en compte les caractéristiques des informations : facilité de collecte, potentiel de marché, scalabilité, aspects éthiques et réglementaires…
  6. Packager l’information en vue de sa monétisation.
  7. Définir et cultiver un marché pour les actifs informationnels.De la techno pour monétiser intelligemment

Pour aider à mettre en œuvre une stratégie de monétisation, on s’en doute, les technologies de Business Intelligence peuvent être utilement mises à contribution, mais, conseille l’auteur, « dans leurs formes les plus avancées », avec le Big Data. Et dans le cadre d’une véritable stratégie de « management de l’information ». Celle-ci intègre plusieurs éléments, dont une gouvernance, une gestion du cycle de vie de l’information, une vision, une définition des responsabilités et des indicateurs pertinents.

Il reste deux questions fondamentales à adresser. D’une part, qui possède et contrôle l’information, ainsi que ses usages ? D’autre part, comment en mesurer la valeur unitaire ? La dernière partie de l’ouvrage de Douglas Laney aborde ces questions.

La valeur d’une information dépend de plusieurs facteurs, dont sa qualité, sa validité, son degré d’accessibilité, sa précision, son intégrité ou sa rareté. Il existe ainsi plusieurs modèles de valorisation de l’information, l’auteur mentionne les six principaux, que l’on peut combiner :

  • La valeur intrinsèque (qualité, rareté et intégrité des données).
  • La valeur business (alignement par rapport à la stratégie).
  • La valeur de performance (pour les clients, les partenaires, les collaborateurs…).
  • La valeur de marché (prix de revente).
  • La valeur économique (contribution à la bottom line).
  • La valeur patrimoniale (coût de la perte des données)…

Les apports des théories économiques

Au-delà d’une approche financière, il serait possible, selon l’auteur, de se référer aux principaux concepts des théories économiques pour comprendre comment se forme et s’exploite la valeur de l’information. Ainsi, on pourrait l’étudier sous plusieurs angles :

  • L’offre et la demande : en quoi sont-elles différentes avec l’information par rapport aux biens physiques ?
  • La formation des prix et l’élasticité de la demande en  fonction de la variation de ceux-ci.
  • L’utilité marginale d’une information.
  • Les modes de consommation de l’information.

Pour l’auteur, les entreprises ne sont qu’au début de la réelle prise de conscience de la valeur de l’information. Mais la situation va évoluer rapidement, parce que des tendances lourdes poussent dans le sens de l’intégration de l’information dans les stratégies économiques. Et de la reconnaissance de sa valeur, qu’il s’agisse d’Internet des objets, de la globalisation, de la cybersécurité (qui oblige à identifier les actifs) ou, bien sûr, de l’intelligence artificielle.

Après, il s’agira d’opérer le tri : pourra-t-on vraiment trouver une information qui n’ait pas de valeur au moment où elle est créée ? Si oui, le problème ne sera pas de la monétiser, mais de l’effacer au plus vite !


Les sept mythes de la monétisation des informations

  • L’information doit être vendue pour être monétisée.
  • La monétisation requiert un échange de cash.
  • La monétisation ne concerne que les informations de l’entreprise.
  • La monétisation concerne uniquement l’information brute.
  • Seules les entreprises opérant dans les métiers de l’information peuvent monétiser leurs informations.
  • Les informations d’une entreprise n’intéressent que peu de monde.
  • Il est préférable de partager gratuitement les informations avec les fournisseurs et les partenaires.