Pratiques managériales et gestion de projet : comment lutte contre l’effet Baldwin

Parmi les lois qui régissent le management, il faudra désormais en ajouter une, que l’on pourrait baptiser « l’effet Baldwin », du nom de l’acteur américain qui a tué accidentellement la directrice de la photographie sur le tournage du film Rust.

«L’effet Baldwin », qui peut toucher n’importe quel projet, se caractérise par cinq principes :

1. Il peut toucher des managers expérimentés 

Alec Baldwin n’est pas un débutant, il a une longue expérience dans son métier d’acteur et de producteur. En tant que manager du projet de film, il est expérimenté et donc, a priori, digne de confiance pour mener un projet avec une équipe de plusieurs dizaines de personnes, spécialisées par métier (cascadeur, scripts, accessoiristes, casting…).

2. Les bonnes pratiques existent, elles sont connues, intégrées et acceptées 

Le domaine concerné par « l’effet Baldwin » est souvent codifié, voire très réglementé. C’est le cas, bien sûr, du maniement des armes sur un tournage de film. Les balles réelles sont évidemment totalement proscrites sur un tournage par les règles très strictes en vigueur dans l’industrie du cinéma, précisément pour éviter ce genre d’accident.

Malgré les bonnes pratiques et les règles strictes (tester deux fois la même arme, par exemple), les responsabilités de chacun n’ont pas été clairement formalisées et respectées, ce qui a conduit au drame. L’assistant réalisateur a ainsi admis qu’il aurait dû vérifier l’arme, mais avait omis de le faire. Le management est lui aussi régi par des bonnes pratiques, des référentiels et des obligations juridiques, en principe pour éviter tout dysfonctionnement.

3. Il existe des signes avant-coureurs des difficultés

Ces signes s’observent notamment lorsque le turn-over des équipes augmente, que la motivation diminue, que les conditions de travail se dégradent et qu’une logique de réduction des coûts guide la stratégie. Dans le cas de l’affaire Baldwin, tous ces éléments étaient présents.

Une partie de l’équipe avait ainsi quitté le tournage quelques jours avant l’accident, pour réclamer de meilleures conditions de travail, obligeant les producteurs à les remplacer. L’équipe réduite a dû travailler dans des conditions dégradées (une seule caméra) et plus longtemps. D’où une baisse de motivation, qui a fait dire au shérif Mendoza, chargé de l’enquête : « Je pense qu’il y avait un certain laisser-aller sur ce plateau de tournage. » En outre, le producteur avait économisé sur l’assurance qui permet de couvrir l’arrêt d’un tournage, et dont le coût est équivalent à 2 % du budget du film assuré.

4. Un excès de confiance s’instaure

En cas de problème, cet excès de confiance est justifié par une probabilité de survenance infinitésimale. Alec Baldwin a ainsi expliqué que l’accident avait « une chance sur mille milliards de se produire ». Effectivement, c’est rare, mais pas impossible.

5. Les compétences de certains membres de l’équipe n’ont pas été vérifiées en amont

D’où le recrutement d’incompétents, qui plus est à un poste stratégique mettant en danger l’équipe. L’armurière de 24 ans n’avait qu’un seul autre tournage à son actif : un CV aussi peu fourni aurait dû alerter…

Mais son inexpérience est passée inaperçue : si Alec Baldwin avait juste consulté son collègue acteur Nicolas Cage, il aurait appris que la même personne responsable des armes avait été écartée d’un précédent tournage pour manquements graves à la sécurité. De même que l’assistant en charge de tester l’arme, lui aussi écarté, avait déjà été renvoyé d’un autre tournage pour des manquements similaires.

« L’effet Baldwin », même si on ne l’a jamais dénommé de cette manière, est très courant dans le management de projets, surtout ceux qui impliquent de nombreuses parties prenantes sur un périmètre étendu. La transformation digitale est d’ailleurs un domaine privilégié de manifestation de « l’effet Baldwin ».

Un projet qui en est victime n’a donc guère de chances de survivre… Même s’il n’y a heureusement pas d’issue tragique pour les acteurs concernés, les dégâts économiques (perte de compétitivité…), financiers (investissements gaspillés ou perdus…) et humains (stress, burn-out, démotivation des équipes…) ne doivent pas être sous-estimés.