Prédire le comportement des individus : la  lutte contre la fraude et le marketing en première ligne

La profusion de données génère des opportunités nouvelles pour les entreprises, même s’il faut demeurer conscient des risques induits (intégrité des informations, menaces sur la vie privée, droit à l’oubli, piratage, atteinte à l’image, vol d’identités, fraudes…).

L’une des révolutions concerne l’analyse prédictive, approche qui étudie les données et les caractéristiques comportementales des individus pour en tirer des modèles prédictifs en vue d’optimiser la relation avec les clients. Plus précisément, en se basant sur un historique des informations disponibles sur les clients, l’analyse prédictive établit, avec une analyse statistique des relations entre les données disponibles, si elles sont de nature à prédire, avec la meilleure fiabilité possible, le futur comportement d’un individu.

Retenons deux domaines dans lesquels l’analyse prédictive s’avère particulièrement pertinente : la détection de la fraude et le marketing.

Mieux détecter les fraudes, c’est possible… et rentable !

Selon une étude sur la fraude en entreprise publiée en 2011 par la cabinet de conseil PWC (PriceWaterhouseCoopers), 46 % des entreprises françaises ont affirmé avoir été victime de fraudes. Dans  son étude publiée en 2011 par le cabinet de conseil PWC concluait que « les entreprises ont franchi une nouvelle étape dans leur lutte contre la fraude.

Elles sont aujourd’hui de plus en plus souvent dotées de dispositifs d’identification des transactions inhabituelles qui leur permettent d’être plus efficaces dans la détection de la fraude. » Ainsi, précise également les auteurs de l’étude,  les entreprises décident de lutter plus en amont contre la fraude et ce, à l’aide de moyens détectifs consistant à identifier des transactions présentant un caractère inhabituel. Aujourd’hui une fraude sur cinq est découverte de cette façon. »

De fait, les exemples ne manquent pas d’entreprises qui ont pris le problème  la source pour en réduire le coût financier. Pour réussir sur un marché dominé par des grands noms de l’assurance, la société américaine Infinity, spécialisée dans l’assurance des conducteurs à risques élevés, avait besoin d’accroître son parc de clients et d’améliorer son efficacité opérationnelle, notamment pour la gestion des sinistres et la réduction de la fraude.

Des techniques d’analyse prédictive ont été mises en œuvre. L’objectif était, sur le modèle des crédits bancaires, de « scorer » les sinistres de manière à mieux identifier la probabilité de fraude, en tout cas mieux qu’avec une intervention humaine, toujours subjective, souvent rudimentaire et très coûteuse en ressources humaines, difficile à adapter aux nouveaux modèles de fraude et pénalisante pour les assurés honnêtes qui voyait rallonger leurs délais de remboursement…

Par ailleurs, il s’agissait d’optimiser la collecte dite de subrogation (lorsqu’un assureur se retourne vers des tiers pour récupérer des fonds, quand son assuré n’est pas responsable). En un mois, la solution mise en œuvre par Infinity a permis d’augmenter les fonds collectés d’un million de dollars et de douze millions de dollars en six mois, uniquement par une meilleure analyse des données.

Pour la détection de fraude, Infinity a élaboré un moteur de règles qui, pour chaque demande de règlement de sinistre, évalue la probabilité de fraude. Si une demande est considérée comme frauduleuse, une rapide enquête à chaud d’un ou deux jours (contre un à deux mois auparavant) est diligentée. Résultat : le taux de détection de fraude est passé de 50 % à 88 % en quelques mois.

La prochaine étape, elle aussi basée sur l’analyse de volumes importants de données, consistera à étudier le contenu des documents liés aux règlements des sinistres, par exemple les comptes rendus d’accidents, les rapports médicaux ou les témoignages, autant d’éléments qui sont susceptibles d’améliorer la détection de fraude le plus en amont possible.

De même, une grande banque européenne a mis en place un système d’analyse prédictive pour détecter les risques de faillites parmi ses entreprises clientes, en particulier en intégrant des informations relatives au contexte économique. Concrètement, la banque est également en mesure d’anticiper les conséquences d’une défaillance, pour elle, d’un client majeur, de manière à éviter les conséquences néfastes d’un « effet domino » sur d’autres clients.

L’analyse de grandes masses de données est également très utile pour lutter contre la criminalité. Par exemple, la police de New York dispose d’un logiciel d’analyse prédictive de la criminalité. Baptisée CRUSH (Criminal réduction utilizing statistical history), cette application regroupe une vingtaine d’années d’archives et de statistiques liées à la délinquance et à la criminalité, avec toutes caractéristiques des délits : lieux, heures, modes opératoires…

L’analyse de ces données est assurée par un programme mathématique conçu par les chercheurs de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Ainsi, l’analyse permet de localiser les endroits à risque de la ville, d’identifier les types de délits qui y sont commis, en fonction de critères tels que le moment de la journée ou le jour de la semaine.

Concrètement, la police peut alors agir et envoyer des effectifs avant que le crime ou le délit ne soient commis. Déjà déployé au sein de la police de Memphis, le logiciel CRUSH aurait permis de réduire la criminalité de 30 % et la criminalité violente de 15 % par rapport à 2006.

Par exemple, en janvier 2010, la police de Memphis a lancé plusieurs opérations dans l’un quartier des quartiers de la ville, en se basant sur les indications du logiciel CRUSH. Résultats : plus de 50 arrestations de trafiquants de drogue et une réduction de près de 40 % de la criminalité.

Améliorer l’efficacité des actions marketing : les chiffres parlent !

Outre la détection de fraude, l’une des difficultés pour toutes les entreprises qui s’adressent à des millions de clients est de fidéliser ceux-ci, pour les conserver, et d’en conquérir d’autres. Dans les banques anglo-saxonnes par exemple, le taux de rotation des clients atteint facilement 10 à 20 % par an, avec un coût par client s’élevant entre 200 et 3 500 dollars.

Une banque néerlandaise, grâce à l’analyse prédictive, a réussi à accroitre l’efficacité de ses campagnes marketing avec un taux de réponse passé de seulement 4 % à 12 %, d’où un retour sur investissement de ses actions marketing amélioré de 10 à 20 %.

Autre exemple : le loueur de véhicules Avis Europe, qui a amélioré le résultat de ses campagnes marketing par e-mail et divisé ses coûts par deux. En analysant les données sur ses clients, Avis a une connaissance approfondie de leurs préférences. Cela lui permet de proposer des offres personnalisées dans plus de 18 millions d’envois d’e-mails chaque année.

L’adaptation du contenu en fonction de l’historique de navigation et des habitudes et préférences des clients en matière de transactions permet à Avis Europe de mieux anticiper leurs intérêts, de les fidéliser et, finalement, d’augmenter le nombre des locations de véhicules.

En ayant une meilleure connaissance de l’activité des clients grâce à l’historique des clics dans les e-mails et des transactions, Avis personnalise tous les e-mails adressés à un client selon le segment dont il fait partie. Par exemple, pendant les mois d’été, un homme entre 25 et 35 ans reçoit davantage d’offres de location de cabriolet.

De même, Avis dispose d’une base de données de « clients privilégiés » à qui elle promet une prise en charge dans un délai de trois minutes (ils sont assurés de recevoir la clef de leur véhicule dans un délai de trois minutes à partir du moment où ils se présentent au guichet). La rapidité de service étant essentielle pour fidéliser les clients.

Automatiser la détection des fraudes

La fraude et la cyber-délinquance ont un coût, pour les entreprises comme pour la collectivité. Les techniques d’analyse prédictives permettent de le réduire en identifiant précocement signes suspects et activités inhabituelles.

L’Etat, les banques, les opérateurs de télécommunications, le transport de personnes et de marchandises ou encore la vente de biens et services en ligne ne sont que quelques-uns des secteurs potentiellement concernés par les problèmes de fraude, de vol ou de détournement de biens. Cette criminalité touche autant les entreprises que leurs clients, les administrations que les citoyens.

Multiforme, elle s’avère complexe à appréhender et à mesurer. L’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP), dans son enquête « Cadre de vie et de Sécurité » 2011 estime par exemple qu’en 2010 près de 500 000 ménages ont été victimes d’escroqueries bancaires.

La même année, 68 % des contrôles effectués par l’Urssaf ont donné lieu à un redressement. En 2009, la CNAF (Caisses Nationale d’Allocations Familiales,) qui a mené une étude spécifique sur la fraude de mai – novembre 2009, a évalué pour sa part à 2,15 % la proportion de fraudeurs parmi ses allocataires.

Tous les domaines ne sont pas également touchés. Néanmoins, qu’elle soit marginale ou plus importante, la fraude a un coût : pertes nettes liés aux produits volés, aux paiements et cotisations non perçues, frais de dédommagements à verser aux victimes d’actes frauduleux, coûts des contrôles et des actions mises en œuvre pour recouvrer les fonds. A cela peuvent s’ajouter des dégâts intangibles, notamment sur l’image de l’organisation qui risque de perdre la confiance de ses clients.

Agir au moment de la tentative de fraude

L’analyse prédictive est depuis longtemps mise en œuvre pour prévenir et détecter ce type de délinquance de manière automatisée. Plus tôt en effet sont détectés les actes délictueux, moins il est coûteux de les pallier, l’idéal étant de réagir au moment où la fraude est suspectée. Pour cela, différentes approches peuvent être mises en œuvre. Certaines sont classiques et connues depuis longtemps :

  • Mise en place de seuils d’alertes, par exemple quand le montant d’une transaction ou la durée d’un appel dépassent une certaine limite ;
  • Mise en place d’indicateurs pour surveiller les processus sensibles : livraison de colis, commandes sur Internet, achats…
  • Analyse de l’historique des transactions, des plaintes des clients ;
  • Audits des processus et données sensibles ;

D’autres se développent avec l’essor de technologies comme la géolocalisation ou les réseaux sociaux :

  • Analyse du contexte : géolocalisation du terminal utilisé, horaires, type de terminal, etc. afin d’identifier toute utilisation inhabituelle ;
  • Analyse des réseaux sociaux et des interactions sociales sur le Web : ces techniques aident notamment à identifier des personnes fraudant en groupe, l’analyse des relations facilitant l’identification des complices. Elles aident également à déceler les personnes utilisant plusieurs fausses identités.

Tous ces éléments ne suffisent pas à eux seuls à garantir avec certitude la présence d’une fraude. Ce sont autant d’indices qui permettront ensuite d’ajuster et de prioriser les stratégies de lutte contre la délinquance : renforcement des contrôles dans telle ou telle zone, mise en place de systèmes pour vérifier l’identité de l’auteur d’une transaction, comme l’envoi par les banques de codes par SMS pour confirmer une transaction électronique ; usage de questions de sécurité complémentaires voire de systèmes d’authentification forte…

Dans tous les cas, ces systèmes devront être suffisamment souples pour ne pas pénaliser les clients ou les bénéficiaires légitimes. L’automatisation représente en effet un gain de temps précieux pour la détection, mais elle doit être associée à des systèmes de vérification ou des contrôles humains, afin par exemple de ne pas bloquer abusivement un compte ou un téléphone sur une simple erreur.