Projet de transformation de la DSI : le paradigme du &

Transformer en profondeur la DSI suppose une appropriation par les équipes, un accompagnement des métiers et un soutien fort de la direction générale. Comment faire pour susciter l’adhésion et partager une vision commune ? En suivant l’exemple d’Annick Préval, DSI en poste depuis un an, qui a réussi le dur challenge de faire plus avec moins.

Annick Préval est en pleine forme ce matin. Après avoir longuement réfléchi, sa décision est prise : lancer un programme de transformation de la DSI, initié par un séminaire de l’équipe de direction, élargie pour l’occasion à l’ensemble du management afin de l’associer à la construction du futur de la DSI.

Chez le président…

Tout commence le mois précédent au cours d’un entretien avec le président de l’entreprise. Il s’agit de son premier entretien annuel. Annick Préval avait été nommée DSI du groupe un an plus tôt. L’entretien démarre bien. Le président exprime sa satisfaction du travail accompli, insiste sur l’importance qu’il attache aux missions de la DSI mais ne manque pas de rappeler ses attentes très fortes : « Il faut absolument réussir rapidement les projets prioritaires nécessaires aux évolutions du business vers l’entreprise numérique et, en même temps, améliorer le service aux utilisateurs et le support attendu par les métiers, qui sont largement perfectibles, comme vous le savez », lui explique-t-il.

Et d’ajouter, avant qu’elle n’évoque la question des moyens : « Il faudra en même temps réduire assez sensiblement les coûts car nous allons lancer un plan d’économies qui concerne l’ensemble de l’entreprise. C’est absolument indispensable. »

– Comment pourrais-je faire plus avec moins de ressources ? ne peut-elle s’empêcher de rétorquer.

Annick Préval sait fort bien que ses équipes, au moins une bonne partie d’entre elles, sont en surchauffe permanente. Comment gérer cette nouvelle situation ?

Paradigme du « & » contre paradigme du « ou »

Faire plus avec moins : d’un côté, ce challenge n’est pas pour lui déplaire. Elle a été sensibilisée à la puissance du paradigme du « & » par rapport au paradigme du « ou ». Quelques années plus tôt, un ancien patron lui a envoyé le support d’une présentation sur le sujet. Cela avait été une révélation qui avait durablement transformé sa façon d’appréhender les problèmes.

Le mode de pensée du « & », au lieu de considérer les différents aspects d’un problème comme des contradictions insurmontables, consiste à chercher à les inclure et à trouver des solutions qui les concilient.

Mais elle sait aussi que ce mode de pensée n’est pas très répandu dans son organisation. Elle entend souvent des plaintes de ses équipes, surtout en ce qui concerne la pression quotidienne, le manque de ressources, la relation parfois difficile avec les maîtrises d’ouvrage et entre les différents services de la DSI.

Elle a une assez bonne idée des dysfonctionnements au sein de la DSI et dans la relation avec les métiers : à sa prise de poste, elle avait passé beaucoup de temps à interviewer des clients internes, les managers, des collaborateurs.

Les difficultés sont nombreuses : travail en mode silo qui ne favorise pas la communication trans­verse ni l’efficacité des processus et génère beaucoup de frictions entre les équipes… Difficultés rencontrées sur le terrain et non « escaladées », ce qui amène à les découvrir trop tard pour éviter les impacts…écoute insuffisante des clients internes, largement reprochée à la DSI… Projets systématiquement en retard avec des coûts supérieurs aux estimations initiales… Délais trop longs pour satisfaire certaines demandes perçues comme simples ce qui donne le sentiment que la DSI n’est pas vraiment organisée de manière efficace…

– Il n’y a pas de doute que si nous étions capables de réduire ces dysfonctionnements tout en créant une autre relation avec nos clients internes, nous pourrions simultanément améliorer sensiblement le service rendu, supprimer des gaspillages et augmenter la sérénité des équipes et du management au quotidien, pensa-t-elle.

Pour arriver à faire plus avec moins, il faudra à la fois travailler sur le « Quoi » (l’efficacité qui nécessite de travailler sur la voix du client, ses attentes, ses priorités) et sur le « Comment » (l’efficience qui nécessite de supprimer les multiples gaspillages tout au long des processus).

Elle sait qu’il faudra d’énormes changements pour atteindre ces résultats et qu’il ne suffira pas de les décréter pour qu’ils deviennent réalité sur le terrain. Il faudrait donc s’attendre à des résistances. Elle décide d’en discuter avec Dario Tarantelli.

La force d’une formule : réussite = qualité de la solution × appropriation par les équipes

Elle connaissait Dario depuis plusieurs années. Il avait créé Ekara, un cabinet de conseil dont la vocation est d’aider les DSI à devenir prestataire interne de service performant avec la particularité de prendre en compte simultanément les aspects organisation, processus, gouvernance et les aspects culturels, d’appropriation et les comportements. Quelques jours plus tard, ils prennent un café ensemble.

– Pour réussir, il faut absolument que les managers adhèrent à ce qui nous est demandé et même, au-delà de l’adhésion, j’ai besoin qu’ils s’approprient un plan d’action qui sorte du cadre habituel et qui change de façon forte le mode de fonctionnement et dans lequel ils vont s’impliquer fortement, lui explique-t-il après lui avoir raconté son entretien avec le président.
– Ce que vous dites est matérialisé dans le monde Lean Six Sigma par une formule simple :
R = Q x A, remarque Dario.

Il poursuit : « Cette formule signifie que la réussite d’un projet de transformation est le produit de la qualité de la solution par son appropriation par les équipes. La phrase est plus compliquée que la formule et que son sens ! Si on évalue Q et A sur une échelle de 1 à 9, si la qualité de la solution est excellente, par exemple notée 9, et que l’appropriation est faible, à 2, le produit sera de 18 ce qui est très insuffisant, le projet ne pourra probablement pas réussir. Par contre, si la qualité de la solution n’est que de 7 mais que l’appropriation est forte à 8, le produit sera de 56, ce qui est nettement meilleur. »

Annick Préval est impressionnée par la force de cette formule.
– Cette formule me plait beaucoup, dit-elle, et je prévois de la réutiliser en interne. C’est un excellent outil de communication pour affirmer que l’appropriation est aussi importante que la solution ! Il faudra qu’à l’occasion nous reparlions de Lean Six Sigma car je ne savais pas que cette approche donnait tant d’importance à l’appropriation du changement par les équipes !
– Une fois que l’on a établi que l’appropriation par les équipes, et notamment par les managers, est une nécessité pour réussir, on peut (doit) aller un peu plus loin. L’appropriation nécessite absolument à la fois le partage du sens, du pourquoi, et la participation à la construction de la solution et du plan d’action associé. Pourquoi ne lanceriez vous pas un plan de transformation qui pourrait démarrer par un séminaire de votre management pour partager la vision et construire ensemble la solution ?
– Faire participer tout le management à la construction ?
– Ce séminaire pourrait être l’occasion de partager les finalités, les enjeux et le sens, de construire ensemble la vision cohérente avec les finalités, de partager collectivement l’analyse de la situation actuelle et de définir en commun la façon d’atteindre la nouvelle cible. C’est le point de départ du plan de transformation. Il pourrait être intéressant que vous discutiez de cela avec un DSI que je connais qui utilise cette approche pour entraîner son équipe de management dans une évolution permanente : il organise un séminaire annuel qui définit les chantiers clés de progrès de l’année.

En visite pour un échange d’expérience

Le rendez-vous avait été organisé rapidement. Philippe G. avait invité Annick Préval à prendre un petit déjeuner dans ses locaux à huit heures. Après une présentation réciproque, il la questionne sur ses attentes. Annick Préval rappelle alors ses enjeux.

La réaction de Philippe G. est immédiate : « Vous devriez organiser un séminaire avec votre équipe de management pour lancer votre programme de transformation. » Il poursuit : « Cela fait plus de dix ans que je pratique cet exercice en début d’année. J’ai démarré dans ma précédente société et j’ai naturellement continué dans ce poste. Au début, je le faisais animer par des sociétés de conseil en RH, puis j’ai voulu aller plus loin et notamment assurer l’accompagnement du plan d’action issu du séminaire. J’avais fait intervenir une fois Dario pour parler du métier de prestataire de services. à compter de l’année suivante, je lui ai demandé d’assurer l’animation du séminaire, car lui et son équipe apportaient à la fois la connaissance du métier de la DSI, l’expérience du métier de prestataire de services avec des apports de ce qui se fait dans le domaine sur le marché, la capacité d’animer et de dynamiser un séminaire de cinquante personnes, l’accompagnement pendant le déroulement du plan d’action et enfin une réelle expérience opérationnelle de la transformation des DSI. Cela fait cinq années de suite que la DSI se transforme continuellement, démarche ponctuée par ces séminaires annuels. »

– Quel était votre objectif en lançant cette démarche ?
– Avant de lancer cette démarche, la DSI réalisait ses activités : nouveaux projets, évolutions applicatives, projets d’infrastructure, fourniture de services au quotidien, mais, nous ne prenions pas le temps de réfléchir à notre mode de fonctionnement, à nos pratiques pour être plus efficaces et efficients et à nos comportements. Le séminaire nous permet de partager la vision avec l’ensemble du management, de mettre en place une démarche de progrès permanent dans nos modes de fonctionnement et de mobiliser les équipes autour d’un projet fédérateur. Les équipes se connaissent mieux et apprennent à travailler ensemble. De plus, cela permet d’apporter régulièrement le regard de ce qui se fait à l’extérieur. En fait, le processus de management de la DSI est un cycle qui commence en début d’année par ce séminaire.
– Et que disent les participants ?
– Ils sont ravis ! A l’issue de chaque séminaire, nous réalisons une enquête de satisfaction. Les résultats sont toujours excellents. Les participants sont associés aux orientations et aux objectifs, ils connaissent la stratégie, peuvent s’exprimer et ils contribuent réellement à la construction du projet. Faire partie de ceux qui sont invités est important.
– Chaque année, le format est-il identique ?
– Quasiment, sur deux jours, en présentiel, avec plusieurs séquences en atelier et des restitutions/discussion en plénière. Ce sont des journées très denses qui produisent des résultats tangibles. La troisième année, nous avons ajouté un complément au dispositif. Avant le séminaire de l’équipe de management, une journée focalisée sur l’écoute du terrain était organisée avec une vingtaine de personnes sélectionnées parmi les collaborateurs sur le thème : quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ? Quelles sont les améliorations qui contribueraient efficacement à améliorer la performance ? J’interviens à l’introduction puis participe au déjeuner. Le soir, le comité de direction vient assister à la restitution puis un diner est organisé. Cette journée fait maintenant partie des temps forts de la DSI. Les résultats de cette journée sont ensuite injectés dans les éléments d’entrée du séminaire, de l’équipe de management.
– Cinq fois de suite, ce n’est pas répétitif ?
– En fait, non. Chaque fois, nous avons pu constater les progrès effectués l’année précédente et nous avons franchi une nouvelle étape avec un zoom spécifique lié aux sujets que nous voulions faire progresser ou au contexte de notre société, par exemple la certification SOX.
– Et le plan d’action issu du séminaire, comment le conduisez-vous ?
– C’est un sujet clé que nous avons beaucoup travaillé avec Ekara qui nous a accompagnés tout au long du processus. La démarche génère des attentes fortes qu’il ne faut pas décevoir. Pourtant, après un séminaire, la vie quotidienne a tendance à reprendre le dessus. Il faut donc avoir créé les conditions d’une mise sous tension des chantiers retenus et des quick wins décidés. Il faut avoir préparé une infrastructure de conduite de projet de changement avec pilotage, une définition des rôles clés, la définition des objectifs à atteindre avec les indicateurs de performance associés et une communication régulière sur l’avancement et du déploiement.

… 8 mois plus tard

Annick Préval avait invité Philippe G. à déjeuner ainsi que Dario Tarantelli. Ekara avait préparé et animé le séminaire et accompagnait la DSI dans la mise en œuvre du plan de transformation décidé.
– Comment cela se passe-t-il ? s’enquiert Philippe G.
– Je suis très satisfaite car les résultats de l’enquête de satisfaction lancée au niveau de toute l’entreprise viennent d’être publiés direction par direction. La satisfaction des collaborateurs de la DSI est largement supérieure, notamment en ce qui concerne la compréhension de la stratégie de la DSI, la connaissance des objectifs, la possibilité d’avoir des effets sur son activité, la prise en compte effective des remontées terrain, la qualité de la relation avec le management et entre collègues.

En comité de direction, le matin même, le président l’avait félicitée et lui avait demandé de préparer une intervention pour la réunion suivante pour présenter la démarche qui avait permis d’aboutir à un tel résultat.
– Bien sûr, nous sommes loin d’avoir terminé mais les chantiers sont lancés et les premiers résultats encourageants.
– Quels sont les sujets qui sont ressortis ?
– Je pense que nous avons vraiment mis sur la table beaucoup de sujets clés pour les­quels nous avons ensuite établi un ordre de priorité, car il est clair que nous ne pourrons pas tout réaliser en une année :

  • Dans l’ordre de priorité : la relation (gou­vernance et comportements) avec nos clients internes, pour que notre action soit bien alignée sur leurs priorités et enjeux clés; le processus d’innovation pour aller vers l’entreprise numérique et améliorer le positionnement concurrentiel de notre entreprise; la gestion du portefeuille de projets et de demandes ; la maîtrise partagée des risques.
  • D’une manière générale, tous les sujets en liaison avec la transversalité : gestion des projets, gestion des demandes.
  • Les aspects culturels et comportementaux : relation à la notion de bout en bout, de respect des engagements, de sens du service, de pilotage par les indicateurs, évolution du rôle des managers dans un management par les processus.
  • La gestion de la capacité et du plan de charge, comment éviter la surchauffe.
  • La mesure de la performance et indicateurs avancés de pilotage avec management visuel tiré de Lean Six Sigma.
  • La gestion efficace de l’infogérant. comment faire en sorte qu’il tienne ses engagements sans se substituer à lui et dans une démarche gagnant-gagnant.
  • Les aspects financiers : comment donner au client interne les leviers dans l’expression de la demande pour permettre une réduction des coûts.
  • La gestion des retours d’expérience et la mise en œuvre d’une démarche visant à se transformer en entreprise apprenante.

– Avez-vous utilisé le modèle intégral de Ken Wilber ?
– Oui, tout à fait. Ce modèle distingue, d’une part, les aspects objectifs (ce qui se passe) et subjectifs (ce que l’on pense à propos de ce qui se passe), et, d’autre part, les aspects individuels (ce qui me concerne) et collectifs (ce qui nous concerne). Cela nous permet de déterminer les quatre domaines (voir schéma page suivante) suivants :

Le domaine objectif – collectif est celui des systèmes. Dans un projet de transformation, c’est généralement le domaine par lequel on aborde les changements et dont on s’occupe en général le plus.

Le domaine objectif – individuel est celui du ter­rain, c’est là que se déroule la vraie vie opérationnelle au quotidien où l’on constate ou non que les systèmes définis sont bien déployés et les comportements adaptés. Ce domaine est clé et une attention insuffisante peut conduire à un décalage entre la réalité perçue par le management qui pense que les systèmes sont en place et la réalité vécue par les opérationnels qui continuent de fonctionner comme avant.

Le domaine subjectif – collectif est celui de la culture de l’entreprise ou de l’organisation. Son influence est essentielle car souvent les transformations sont en décalage avec la culture constituée par l’histoire, et donc la résistance de l’organisation peut être grande. Le sens n’est pas suffisamment communiqué et positivement perçu. Ces aspects culturels nécessitent d’être mis en lumière et largement pris en considération dans le projet de transformation.

Le domaine subjectif – individuel est celui de la perception de chacun. De la même façon que pour l’aspect collectif, ne pas prendre en compte les opinions, les craintes ou les ressentis individuels lors d’une transformation peut amener le sentiment d’être non entendu, non inclus et entraîner des résistances.
Ces quatre domaines interagissent simultanément. Il est donc essentiel de les considérer et de les prendre en compte de façon indissociée pour maximiser les chances de réussite d’un projet de transformation.

Satisfaction des clients internes & satisfaction des collaborateurs & réduction des coûts

– Et les aspects culturels ? demande Philippe G.
– Nous avons beaucoup travaillé cet aspect. Tout d’abord, nous avons discuté des valeurs et nous avons identifié quels types de comportements étaient adaptés pour refléter ces valeurs dans différentes situations. Nous avons aussi décidé un coaching pour le management.
– Les personnes n’ont pas été réticentes à accepter le coaching ?
– Au contraire, comme nous avons ouvert le programme à tout le management et que le comité de direction a montré l’exemple, nous n’avons eu aucune difficulté d’adhésion. Nous avons même dû étendre le dispositif car au début, nous n’avions pas prévu d’intégrer certains membres du comité de direction sans rôle de management. à leur demande, nous les avons intégrés. Tout le monde voulait en être.
– Vous avez parlé de Lean Six Sigma ? Il m’avait semblé que vous étiez très réticente parce que cette approche pourrait être perçue comme une façon de mettre une pression forte sur la productivité individuelle de chacun et de transformer nos collaborateurs en ouvriers à la chaîne avec des objectifs de productivité toujours plus importants.
– En fait, j’ai compris que ce n’est absolument pas la finalité de Lean Six Sigma. L’approche est au contraire très respectueuse des personnes. Lean Six Sigma est focalisé sur la prise en compte de la voix du client et la suppression des gaspillages le long des processus, ce qui permet simultanément meilleure performance et meilleur confort des collaborateurs. Cela s’est bien exprimé par la vision que nous avons retenue où il s’agit de viser le « & » entre la satisfaction des clients internes, la satisfaction des collaborateurs et la réduction des coûts.

– Le & ?
– Eh oui !

Cet article a été écrit par Dario Tarantelli (Ekara).