Que faire quand un prestataire de services n’est plus à la hauteur

Des projets qui dérapent en matière de délais et de budgets : c’est le lot habituel des DSI. Et le plus souvent, les conséquences ne sont pas dramatiques. Mais, quelquefois, les dérapages conduisent à la paralysie lorsque le prestataire n’est pas à la hauteur. Que faire quand les projets « partent en vrille » ? Deux DSI témoignent de leur galère et de leur stratégie pour s’en sortir (*).

1. Quand le prestataire manque d’expérience

Lorsque Christophe Davy, DSI de Beauté Prestige International, groupe spécialisé dans les parfums (Jean Paul Gaultier, Issey Miyake et Narciso Rodriguez) avec un chiffre d’affaires de 370 millions d’euros et 600 collaborateurs, a pris son poste en 2002, il était lucide : « J’ai accepté pour le meilleur et le pire », rappelle-t-il.

Mais le pire est arrivé plus vite que prévu : « L’extranet de prise de commandes ne fonctionnait pas en production. J’ai eu d’emblée mes collègues commerciaux du comité de direction sur le dos ! » Il fallait donc revenir à un processus manuel et agir rapidement. « En outre, j’ai été très surpris que les consultants chargés de développer le système de prise de commandes nient le problème. »

Décision du DSI de Beauté Prestige International : gel du lot 2, prévu pour la semaine suivante. Et un audit technique, qui révèle rapidement que la solution développée n’était pas adaptée aux besoins. « Rappelons le contexte de 2002 : il n’y avait pas beaucoup de solutions comparables. Le prestataire n’avait qu’une expérience limitée sur XML. Il était dans un processus de découverte. Mon prédécesseur était parti six mois plus tôt et, pendant ce temps, le projet s’était piloté tout seul, sans reporting ni suivi », explique Christophe Davy.

Pourtant, l’enjeu était loin d’être négligeable : « Nous avons livré par erreur pour plusieurs centaines de milliers d’euros de marchandises aux USA », témoigne Christophe Davy. Des demandes de modifications sont exprimées par le DSI qui, en retour, se voit proposer la facture. « Une méthode plutôt choquante qui a évidemment contribué à crisper la situation. »

Comment désamorcer la situation de crise ? Première étape : « Nous avons décidé de mettre en place une opération commando, nous avons réuni les utilisateurs et leur avons fourni le maximum d’informations factuelles. Les utilisateurs ont apprécié que nous venions les voir. » Deuxième étape : « Nous avons accepté un report et un surcoût. »

Mais, au final, l’application ne fonctionnait toujours pas : « Techniquement, le prestataire n’arrivait pas à remonter la pente. Nous avons donc rompu avec lui. Quand entre les équipes utilisateurs et le prestataire, le courant ne passe plus, c’est qu’il ne passera plus jamais ! A un moment donné, lorsque le seuil d’énergie est dépassé, il faut rompre avec son prestataire. »

Mais celui-ci doit « sortir par le haut », conseille Christophe Davy : « J’ai contacté le patron Europe de mon prestataire pour un règlement amiable, le but n’étant pas de le mettre à genoux ni d’aller au procès ». Troisième étape : mettre en place une solution alternative. « Un nouvel outil a été mis en œuvre en trois mois et la confiance des utilisateurs est revenue », souligne Christophe Davy.

« Notre première erreur est d’avoir négligé la phase de recette », reconnaît le DSI de Beauté Prestige International. « On ne peut pas faire de recette avec un seul utilisateur dans son coin. Il est préférable de s’accorder quelques jours de délais supplémentaires pour obtenir un bon résultat, sinon utilisateurs, directions métiers et direction générale saurons nous le rappeler pendant des mois, voire des années ! »

Autre erreur à ne pas commettre : « Il n’y avait pas d’obligations de résultats dans le contrat alors qu’il concernait un système de prise de commandes ! » De manière préventive, deux éléments doivent être privilégiés, selon Christophe Davy. D’une part, prendre le temps de recueillir des opinions d’autres DSI sur le ou les prestataires chargés du projet : « Je suis convaincu de l’importance des témoignages d’autres clients sur les technologies mises en œuvre et/ou sur la qualité du prestataire que l’on choisi. Ce contact échappe au prestataire et cela fournit des éléments d’informations très intéressants de la part de personnes que l’on ne connaît pas. »

D’autre part, il importe de vérifier la maturité des technologies mises en œuvre : « Je m’intéresse à la solidité/maturité de la technologie ainsi qu’au mode de fonctionnement du prestataire, sa manière de travailler et d’aborder les problématiques métiers », résume Christophe Davy.

2. Quand le prestataire a besoin d’être piloté

B2V, organisme de retraite-prévoyance, a lancé un plan informatique 2003-2007. Une mission qui incombe à Claude Buzier, arrivé dans le groupe en 2002 pour mener à bien les différents chantiers de cette stratégie, axée sur la refonte des deux systèmes d’information retraite et prévoyance, avec des progiciels métiers.

« Tous les DSI rêvent de se voir confier une telle mission. Ces deux chantiers importants ont été menés dans les délais et les budgets prévus », précise-t-il. Outre ces évolutions majeures, B2V a souhaité mettre en place un système « chapeau » pour gérer les clients communs entre la retraite et la prévoyance, en termes d’appels de cotisations, d’encaissements et de CRM. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. « Malgré ma longue expérience, je me suis planté. On croit tout maîtriser mais ce n’est en fait jamais le cas », reconnaît Claude Buzier. L’application clients a fait l’objet d’un développement spécifique.

« Car le projet était ambitieux et nous ne pouvions tout développer en interne », précise le DSI de B2V. Un projet qui devait être opérationnel au premier janvier 2007 mais qui, plus d’un an après, ne l’est toujours pas. « Nous n’en sommes qu’à 30 % », calcule Claude Buzier. Que s’est-il passé ? Le DSI de B2V identifie trois problèmes.

Tout d’abord, concernant le choix du prestataire, « on a souvent tendance à jouer sur les prix et la rapidité, c’est une erreur. » Surtout pour des domaines (SOA, Open Source…) qui sont quelquefois mal maîtrisés par les fournisseurs. « Notre prestataire n’avait pas d’expérience suffisante et avait proposé de s’adosser à un modèle existant dans le secteur de l’assurance, mais qui, en réalité, s’est révélé mal adapté à notre monde de la protection sociale. D’où une perte de temps.

En outre, il a eu recours à l’offshore, au Maroc, sans expérience et notamment sans encadrement suffisant pour valider les réalisations et je ne pouvais pas le savoir », souligne Claude Buzier. Perte de temps également lorsqu’il a fallu faire venir l’équipe du Maroc : « Ils ne disposaient que de visas touristiques et il a fallu effectuer les démarches pour obtenir des visas de travail. »

Second point délicat : le principe de facturation. « Le forfait constitue un véritable handicap. Certes, on dispose de garanties, mais elles servent surtout d’arguments lors du procès », résume Claude Buzier, qui conseille de bien vérifier que le prestataire connaît son métier. De quoi éviter les 1,5 million d’euros supplémentaires pour achever le projet ou un procès toujours contraignant.

Enfin, du côté des équipes, « il faut de l’expérience en gestion de projet, et il importe de former les équipes avant le démarrage du projet, d’autant plus que du côté de la maîtrise d’ouvrage, il est quelquefois difficile de motiver tout le monde », explique Claude Buzier.

Que faire ? « Quand un projet démarre, mettez-vous dans la tête qu’il va échouer ! », tranche le DSI de B2V, qui conseille « d’intégrer certains collaborateurs de l’entreprise à l’équipe du prestataire, pour prendre en permanence le pouls du projet ». Les relations avec les prestataires imposent, suggère Claude Buzier, de dépasser le strict cadre du contrat pour « construire des forces de persuasion/dissuasion/négociation. Et je ne conçois pas un projet sans un plan d’assurance qualité, c’est un moyen privilégié de définir a priori les responsabilités et les points sur lesquels on pourra discuter. »

(*) Ces témoignages ont été recueillis dans le cadre d’un débat organisé par l’EBG (Electronic Business Group).


Les dix best practices de Claude Buzier (B2V)

  • Ne tirez pas trop sur les prix et les délais, au détriment de la qualité des prestations.
  • Vérifiez l’expérience et le savoir-faire de vos prestataires sur les technologies émergentes.
  • Vérifiez la compatibilité des solutions modélisées pour les applications métiers.
  • Si votre prestataire recourt à l’offshore, vérifiez qu’il assure un pilotage de ses propres sous-traitants.
  • Évitez la facturation au forfait sans le moyen de contrôler de l’intérieur.
  • Formez les équipes avant le démarrage du projet, tant techniquement que dans le management de projet.
  • Motivez la maîtrise d’ouvrage et la direction générale pour s’impliquer dans le projet.
  • Lorsque le projet démarre, imaginez toujours qu’il peut échouer.
  • Intégrez vos collaborateurs à l’équipe du prestataire.
  • Prévoyez une assurance qualité pour préciser les responsabilités internes et externes.

Les dix best practices de Christophe Davy (Beauté Prestige International)

  • Vérifiez la maturité des prestataires pour les technologies qu’ils mettent en œuvre.
  • Assurez un pilotage du projet en interne : le prestataire ne doit pas l’assumer seul.
  • Vérifiez régulièrement que le courant passe entre les équipes du prestataire et les équipes internes (DSI et maîtrise d’ouvrage).
  • Ne négligez pas la phase de recette, avec un nombre suffisant d’utilisateurs.
  • Intégrez une obligation de résultats dans les contrats, surtout si les enjeux business sont importants.
  • Étudiez en amont les méthodes de travail et de gestion de projet de votre prestataire. Capitalisez sur les témoignages des clients de votre prestataire.
  • Sachez stopper l’implémentation d’un projet en cours si elle risque de conduire à l’échec. N’hésitez pas à rompre avec un prestataire s’il n’est pas à la hauteur mais assurez-vous de pouvoir revenir en mode manuel.
  • Faites réaliser un audit technique par un tiers, en cas de doute.
  • Préparez un argumentaire pour la direction générale et les utilisateurs.
  • Réunissez les utilisateurs, soyez transparent et fournissez leur un maximum d’informations sur la situation et les perspectives d’évolution.

Qu’est-ce qu’une situation de crise ?

Crise : « période d’incertitude, caractérisée par un certain désordre et une certaine instabilité », « période de marasme, d’affaiblissement, de tension, d’instabilité, de danger » (dictionnaire Bordas). Une crise a plusieurs caractéristiques : elle provoque une période d’indécision, des pressions et tensions internes et externes, elle est brutale et déstabilise l’entreprise.


Gestion des fournisseurs : les domaines clés à surveiller
Avant la signature du contrat Pendant l’exécution du contrat
  • Aspects stratégiques et veille technologique
  • Analyse des besoins
  • Gestion des appels d’offres
  • Gestion des contrats
  • Analyse budgétaire
  • Analyse de la qualité de service
  • Respect des pratiques d’achats
  • Management des fournisseurs stratégiques
  • Identification des meilleures pratiques
  • Rationalisation des processus
  • Gestion des risques
Source : Forrester.

Évaluez votre degré de dépendance

Le cabinet d’études Forrester a construit une grille intéressante (*) qui permet de déterminer l’impact du degré de dépendance à l’égard de son fournisseur. Quatre situations ont été identifiées, selon que le prestataire et son client se considèrent mutuellement comme peu ou très stratégique.

Premier cas de figure : le fournisseur et son client sont peu engagés l’un vers l’autre, l’apport de valeur pour chacun est très faible. Second cas : le fournisseur est stratégique pour le DSI, mais la réciproque n’est pas vraie.

« La meilleure pratique dans cette situation consiste à consolider les budgets au profit de ce fournisseur, de sorte que vous soyez mieux considérés par les gestionnaires de comptes chez votre fournisseur », conseille John McCarthy, analyste chez Forrester. Dans le cas inverse, lorsque votre fournisseur n’est pas stratégique pour vous mais que vous l’êtes pour lui, « il est généralement très réactif à vos demandes », précise John McCarthy.

Enfin, dans le quatrième cas, DSI et fournisseur sont importants l’un pour l’autre : « l’alignement est clair, avec un haut niveau d’implication de part et d’autre », explique John McCarthy.

Impact stratégique du fournisseur : quatre scénarios possibles
Dépendance de la DSI
vis-à-vis du fournisseur
Elevé Insomnie (pour le DSI) Alignement
Faible Marginalisation Fragilité du prestataire
Faible Elevé
Dépendance du fournisseur vis-à-vis de la DSI
Source : Forrester. (*) Building An Effective Vendor Management Office, janvier 2008.