Réseaux de franchise : le système d’information structure la relation de pouvoir en faveur du franchiseur

Rencontre avec Henri Isaac, maître de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Dauphine.

Comment s’insèrent les systèmes d’information dans les réseaux de franchise ?

Henri Isaac. Les technologies de l’information sont très présentes dans les réseaux de franchise, dans les activités d’interface entre le siège et les points de vente. Toutes les fonctions d’échange sont touchées. Les réseaux de franchise fonctionnent avec des contrats particuliers qui font que le franchiseur impose son système d’information à ses franchisés, sur une base « à prendre ou à laisser ».

Il peut, bien sûr, y avoir des degrés d’autonomie, mais la relation contractuelle est asymétrique : même si de plus en plus de franchiseurs font participer des représentants des franchisés à l’évolution des SI du réseau, les compétences technologiques et le pilotage du système informatique restent du domaine exclusif des premiers, soulignant ainsi leur pouvoir technologique.

Cependant, pour les franchisés, une telle approche procure deux avantages : d’une part, le plus souvent, ils ont peu de compétences dans ce domaine et se reposent sur les systèmes d’information proposés par le franchiseur. D’autre part, les franchisés s’insèrent dans un réseau pour développer leur chiffre d’affaires, et le système d’information du franchiseur participe à cet objectif.

Les systèmes d’information facilitent en effet la redescente d’information et homogénéise les bonnes pratiques. Le franchisé peut ainsi recevoir une information de meilleure qualité, plus récente et plus consistante de la part du franchiseur tandis que ce dernier dispose d’un retour plus rapide sur les résultats du terrain. La réalité est toutefois plus complexe : on oscille entre indépendance et structure plus hiérarchique.

Quel est le bon dosage ?

H. I. L’efficacité repose sur un pouvoir central fort afin que les franchisés puissent standardiser leurs pratiques à travers les systèmes d’information. Pour le franchiseur, il faut trouver un subtil équilibre entre la contrainte et l’autonomie. Et tenir compte des « super franchisés » qui disposent d’un pouvoir de négociation !

Mais plus le contrat est draconien, plus cela favorise les comportements opportunistes et créatifs des franchisés. Et plus cela renforce l’utilisation des technologies comme moyen de contrôle. Par exemple, une grande marque de textile a installé des puces RFID pour éradiquer la vente de produits contrefaits… par ses propres franchisés asiatiques !

En général, le système d’information contribue à structurer la relation de pouvoir en faveur du franchiseur. La maîtrise technologique des SI permet en fait au franchiseur de ne laisser filtrer que les éléments d’information qu’il lui semble utile de partager tandis qu’il peut accéder, de son côté, de plus en plus rapidement et quand il le souhaite, à l’activité des points de vente. Ce phénomène peut produire des réactions d’agacement de la part des franchisés.

Comment se positionnent les réseaux de franchise par rapport à la grande distribution ?

H. I. La franchise peine à mesurer l’apport du système d’information. Les franchiseurs sont d’ailleurs fort peu diserts sur le rôle des systèmes d’information. Ceux-ci sont essentiellement utilisés pour le reporting et le contrôle des franchisés. Cela dit, les réseaux de franchise sont beaucoup plus avancés que les groupes de grande distribution.

Il est consternant de constater à quel point ces derniers souffrent d’un paradoxe : ils privilégient une culture low cost mais sont incapables de considérer que le système d’information constitue un facteur de réduction des coûts ! A l’exception de groupes anglo-saxons comme Wal Mart ou Tesco, qui mettent en œuvre de vraies stratégies technologiques.

La franchise a intégré beaucoup plus rapidement le rôle des systèmes d’information, facilité par le fait que, culturellement, le réseau s’impose comme mode d’organisation privilégié dans le monde de la franchise.

Internet ne bouscule-t-il pas le jeu ?

H. I. Le problème avec Internet est que cela modifie les fron­tières des zones de chalandise, bases de la construction des réseaux de franchise. En d’autres termes, une partie du chiffre d’affaires autrefois capté localement, par des franchisés, se déporte vers le franchiseur si celui-ci met en place un site de e-commerce.

C’est par exemple le problème qu’ont eu les franchisés du voyagiste Nouvelles Frontières lorsque le groupe a vendu ses produits directement sur son site. Par ailleurs, un franchisé peut-il créer son propre site de e-commerce pour accroître son chiffre d’affaires ? Pas toujours. Cela dépend du type de contrat qui le lie à son franchiseur.