Retour sur cinq décennies d’informatique

A l’occasion de son cinquantenaire, le Cigref, lors d’un événement virtuel, a proposé, par la voix de l’un de ses vice-présidents (Jean-Christophe Lalanne, CIO d’Air France-KLM), un panorama historique de l’évolution des technologies de l’information.

En cinquante ans, le Cigref a évolué au gré des grandes transformations du monde des technologies de l’information. De profondes mutations rappelées par Jean-Christophe Lalanne, CIO d’Air France-KLM et vice-président du Cigref. Les années 1970 furent celles de l’émergence et de la prise de conscience, « les entreprises commençaient à penser à l’informatique, en privilégiant l’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée, mais avec des systèmes lourds et coûteux. »

Ce fut également l’époque des prémices des technologies futures, par exemple Unix et Ethernet. On voit aussi se développer les métiers spécifiques à l’informatique, tels que les codeurs ou les personnels de production. C’est à cette époque que naît le Cigref, sous l’appellation « Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises ». Fondé par une poignée d’entreprises (Saint-Gobain, Hachette, EDF, Société générale…), il avait un « rôle d’éclaireur ». Il s’agissait également de discuter avec les grands acteurs de l’informatique, notamment IBM, constructeur dominant à l’époque.

Pour Jean-Christophe Lalanne, les années 1980 s’apparentent à un « western » et à un « eldorado ». C’est l’apparition de la micro-informatique personnelle et des écrans, permettant de mieux visualiser l’information. C’est également le développement de l’informatique distribuée, de la rencontre entre les mondes des télécoms et de l’informatique. On parle de plus en plus de données et émergent, à la fin des années 1980, des métiers comme les architectes de systèmes d’information.

C’est une époque qui se caractérise par de plus en plus d’acteurs sur le marché, un foisonnement d’offres et le Cigref accentue son rôle d’éclaireur. « Il s’intéresse aux relations entre les maîtrises d’ouvrage et les maîtrises d’œuvre et se focalise sur le tryptique processus-technologies-humain », résume Jean-Christophe Lalanne.

Les années 1990 voient surgir les difficultés inhérentes à toute rupture. « L’informatique est devenue une obligation incontournable mais certains sont encore farouchement contre », pointe Jean-Christophe Lalanne. C’est aussi le paradoxe de Solow, du nom de l’économiste américain Robert Solow (prix Nobel 1987 d’économie), qui voyait des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité. C’est une question qui a commencé à intriguer les dirigeants : l’informatique génère-t-elle vraiment des gains de productivité ?

Les business cases se sont retrouvés challengés, à mesure que des budgets conséquents y étaient dédiés. On a vu également des évolutions majeures telles que les client/serveur, les bases de données relationnelles, la diffusion massive de la micro-informatique, la téléphonie mobile, ainsi que les packages ERP, qui génèrent des grands projets, dont certains n’aboutissent jamais. Le Cigref entre en relation avec de nouveaux acteurs et aborde des questionnements complexes relatifs à la gestion de projets, aux engagements, aux méthodes, et au rôle des partenaires, dans un contexte où l’écosystème grandit. « Le nombre de membres du Cigref aussi et les entreprises font face à trois défis à la fin des années 1990 : le passage à l’an 2000, à l’euro et l’éclatement de la bulle Internet », rappelle Jean-Christophe Lalanne.

Les années 2000 sont les années de la valeur. On se focalise alors sur la valeur d’usage. « L’informatique produit beaucoup, mais parfois moins de 10 ou 15 % des fonctionnalités sont réellement utilisées. Cette valeur d’usage va trouver une réponse à travers l’émergence d’Internet, du digital et de l’ouverture au grand public », estime Jean-Christophe Lalanne.

Il y avait eu le PC, mais avec Internet et la téléphonie mobile, ce fut une évolution majeure pour l’accélération de cette ouverture. Souvenons-nous que le premier iPhone est lancé en 2007… L’open source se développe et, après des années d’investissements, il faudra aussi gérer la dette technique. Le numérique est désormais presque partout. « A cette époque, le Cigref insiste beaucoup sur cette notion de valeur d’usage », rappelle Jean-Christophe Lalanne. L’association devient encore plus visible, avec de nombreux groupes de travail et de multiples chantiers à mener, et commence à être sollicitée par les pouvoirs publics.

Vers l’âge de raison

2010 : c’est le new deal et l’âge de raison. Un contexte que l’on peut résumer par l’acronyme ATAWAD (Any Time, Anywhere, Any Device), que l’on peut compléter aujourd’hui avec AC (Any Content). « Tout devient possible, à tel point que les métiers vont vouloir confisquer l’IT, les DSI ont l’impression que l’informatique leur échappe, avec des Chief Digital Officers qui se multiplient. Mais, finalement, avec le temps, on parvient à trouver le bon équilibre entre l’intérêt de l’utilisateur, celui des métiers et les technologies », assure Jean-Christophe Lalanne.

Aujourd’hui, poursuit-il, « nous sommes convaincus que le rôle du Cigref est de trouver cet équilibre, de savoir reconnaître la dimension technique de nos métiers, mais aussi de rester au service du business. Les DSI ne sont plus dans une tour d’ivoire, nous sommes plus compréhensibles et on s’intéresse à des sujets de société. » C’est, définitivement, l’âge de raison…

Aujourd’hui, pour Bernard Duverneuil, « les DSI payent aujourd’hui d’avoir fait preuve d’angélisme, voire de naïveté. » Que ce soit au sein de l’écosystème (les fournisseurs l’avaient compris et en ont profité…) ou, plus généralement, pour appréhender les enjeux géopolitiques, avec la dépendance à l’égard des fournisseurs américains et chinois. Et l’avenir ? Il est évidemment bien délicat d’en discerner les contours avec certitude.

Le Cigref a publié son rapport d’orientation stratégique 2020 (téléchargeable sur le site www.cigref.fr). Ce document, sur lequel nous reviendrons dans un prochain numéro de Best Practices, intitulé « L’âge de raison… et après ? », propose un éclairage prospectif. « Il nous a paru intéressant, mais sans doute aussi nécessaire, d’introduire plus de dynamisme et d’agilité dans notre réflexion stratégique et avons souhaité nous appuyer sur la méthode de raisonnement prospectif », explique Bernard Duverneuil.

Le document du Cigref s’articule autour de cinq thématiques : les enjeux technologiques et les nouveaux usages, le numérique et l’environnement, les risques cyber et les enjeux géopolitiques, les fournisseurs et les services numériques, les nouvelles formes de travail et l’engagement des collaborateurs. Pour chacun des champs couverts, a été effectué un travail d’identification des signaux forts et faibles de changement. Les auteurs distinguent les tendances structurantes, façonnant en profondeur leurs évolutions, les phénomènes nouveaux, susceptibles de changer significativement la donne d’ici cinq à dix ans (dits «émergences»), les incertitudes majeures, et, enfin, les événements à faible probabilité mais à fort impact s’ils arrivaient (wild cards).

L’évolution historique des systèmes d’information et du positionnement du DSI
L’ère des mainframes L’ère
du PC
L’ère
des réseaux
L’ère
du Web
L’ère de l’information L’ère de l’intelligence artificielle
Époques 1960’s – 1970’s 1980’s 1990’s 2000’s 2005’s+ 2015’s – ?
Périmètre Informatique Processus Organisation Ecosystème Entreprise numérique Sociétal
Objectif principal Automatiser les tâches administratives Améliorer la productivité Garantir la cohérence Maîtriser l’information Créer de la valeur Réinventer les business models
Structure du SI Centralisé Distribué Eclaté Pervasif Intégré Atomisé
Positionnement du DSI Ingénieur Architecte Organisateur Manager Stratège Leader
Mission principale du DSI Garantir la disponibilité des infrastructures Garantir la cohérence des processus Garantir l’interopérabilité Garantir la sécurité Garantir la confiance Piloter la transformation digitale
Technologies dominantes Cobol, Unix… DOS, Windows… Ethernet, Token Ring… TCPIP, PHP, Java… Big Data, bases de données, cloud, mobiles Intelligence artificielle, robotique, Blockchain, IoT…
Fournisseurs dominants IBM, DEC, Unisys, Bull, ICL, NCR, Control Data… Microsoft, HP, Intel, Compaq, IBM IBM, Novell, 3Com, EDS, Oracle, SAP… Yahoo!, Netscape, AOL, Cisco, BlackBerry… Google, Amazon, Facebook, Apple, Salesforce, Samsung … GAFA ? BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ?
Source : Best Practices Digital & Business, Digitalonomics.