Richard Valenti, DSI de Generali : « Passer d’un logique de développement à une logique d’ingénierie. »

Le groupe d’assurances Generali a initié en 2006 un vaste plan de transformation intégrant une refonte des systèmes d’information. Objectif : construire un SI global et unifié. Avec une forte composante d’innovation.

Generali a engagé un plan de transformation : comment s’intègre la composante système d’information ?

Richard Valenti Le groupe Generali a historiquement grandi par croissance externe. Comme dans toute stratégie d’acquisitions, l’entreprise a intégré des équipes de différents statuts, disséminées géographiquement et, bien sûr, plusieurs systèmes d’information.

Ceux-ci étaient souvent composés d’applications juxtaposées, de bases de données et d’infrastructures hétérogènes, sans véritable cohérence transversale. Il fallait donc reconstruire une DSI, notamment au sens organisationnel, c’est-à-dire, d’abord, regrouper les informaticiens.

Mais ce n’est évidemment pas suffisant : réunir les équipes ne suffit pas à créer une DSI, surtout lorsque les règles de fonctionnement et les modes de travail sont différents entre les individus. Le plan de transformation a été initié en 2006, avec l’objectif de bâtir un système d’information unique, en accompagnement de la transformation de l’entreprise qui, sous sa forme actuelle, existe seulement depuis début 2007.

Auparavant, coexistaient plusieurs entités avec différents statuts. Il y a eu un travail de construction de l’entreprise. Pour construire un tel système d’information global, cinq ans sont nécessaires. En 2008, nous avons mené à bien plusieurs projets stratégiques qui touchent à l’ensemble de la chaîne de valeur IT, aussi bien dans les couches basses de l’infrastructure que dans les couches hautes des applicatifs et des métiers, par exemple une application retraite, des applications de convergence de bases de données, ou encore une rationalisation de nos infrastructures… Début 2010, nous avons réalisé entre la moitié et les deux tiers de la transformation, en fonction des chantiers.

Quel sont les facteurs-clés de réussite ?

Richard Valenti C’est avant tout la maîtrise des risques. Dans un plan de transformation, les DSI sont confrontés à trois grands types de risques, qu’il est fondamental de gérer le plus en amont possible. Le premier concerne l’ampleur du plan de transformation. Generali n’avait jamais engagé un tel chantier.

Et, du fait de l’ampleur de la transformation, nous n’avions pas d’outils de pilotage adaptés. Nous avons donc consacré beaucoup d’efforts à la gestion et au pilotage de projet.

Deuxième risque : l’adhérence entre les projets. Lorsqu’un plan de transformation concerne tous les métiers de l’entreprise et toutes la chaîne de valeur du système d’information (des infrastructures aux applications), il y a beaucoup d’adhérence et d’interdépendance des projets. Une équipe spécifique a travaillé uniquement sur ce risque d’adhérence, équipe qui a d’ailleurs été dissoute une fois le risque sous contrôle.

Le troisième risque, comme dans toute restructuration, est le risque humain. Ce risque concerne avant tout le profil des informaticiens, notamment les ingénieurs de développement.

Lorsqu’une entreprise passe d’une organisation caractérisée par des systèmes d’information éparpillés avec des périmètres restreints à un système d’information global et unifié, ce n’est plus le même métier pour les informaticiens. D’une logique de développement, on passe à une logique d’ingénierie. Le problème est donc d’intégrer ces différents composants dans une informatique globale. Les informaticiens de Generali ont ainsi, pour la plupart, changé de métier.

D’un point de vue humain, passer d’une logique de développement à une logique d’ingénierie constitue le risque le plus important. Des trois risques, c’est aussi le plus difficile à gérer, notamment parce qu’il n’existe pas, sur le marché, de formations pour transformer un ingénieur de développement en ingénieur d’ingénierie.

Il convient de distinguer deux logiques d’ingénierie : amont et aval. L’ingénierie amont correspond aux relations des informaticiens avec les métiers, pour le développement de nouvelles applications.

Lorsqu’un nouveau système d’information global est mis en place, il faut réfléchir à la gestion de la complexité et des risques associés. L’ingénierie aval, ou d’intégration, concerne les équipes développant des composants qui doivent s’intégrer ensemble. Problème : les individus ne sont pas toujours habitués à coordonner leurs composants.

Lorsque survient une difficulté, on essaie d’en comprendre l’origine et d’expliquer aux équipes comment travailler sur ces sujets d’ingénierie. C’est par la discussion et une forme de gouvernance « collaborative » que l’on aboutit à une prise de conscience au sein des équipes.

Le risque humain est donc contrôlable, mais cela coûte au moins 10 % de plus : pour chaque euro investi dans la transformation, dix centimes doivent être consacrés à la formation.

Cela nécessite également, dans un plan de transformation, de ne pas « tayloriser » la chaîne de production, même si cela peut être pertinent dans les très grandes organisations.

Les DSI sont toujours confrontés au découpage entre MOA et MOE, mais il est indispensable que toutes les parties prenantes se parlent (MOA, MOE, métiers, production). Lorsque j’ai pris mes fonctions, la MOA et la production n’étaient pas intégrées à la DSI : j’ai demandé à la direction générale un rattachement à la DSI, pour faciliter le travail collaboratif entre les équipes. Aujourd’hui, l’équipe MOA compte 120 personnes, contre dix au début du plan de transformation. On pouvait ne pas mener un tel projet sans une MOA articulée avec les métiers.

L’une des missions de la DSI est de travailler à améliorer « la vie courante » des utilisateurs. Si cette mission n’est pas menée à bien, une bonne stratégie SI peut échouer.

Il nous a fallu investir pour augmenter la qualité : nous avons ainsi divisé le nombre d’incidents par un facteur deux, dans un contexte de croissance des volumes, de doublement de notre puissance mainframe et de multiplication par huit de notre parc de disques. En outre, le plan de transformation nous a obligés aussi à construire une infrastructure de développement, donc à multiplier les environnements.

Autre facteur clé de succès : l’alignement stratégique, à décliner selon le contexte de l’entreprise. Et il n’est pas nécessaire que le DSI soit au comité de direction pour garantir cet alignement stratégique ! L’alignement stratégique ne se résume pas à la position hiérarchique du DSI : c’est toute la DSI qui doit être alignée avec les métiers !

Vous êtes informaticien de formation mais pas DSI de métier et vous avez passé quinze ans dans des fonctions opérationnelles : qu’est-ce qui a le plus changé ?

Richard Valenti J’ai démarré ma carrière comme ingénieur système chez un constructeur informatique, puis dans le secteur bancaire, à la BNP. J’ai abandonné l’informatique pour intégrer l’inspection générale de la BNP comme chef de mission. Avec une spécialité de « restructurateur » ! Je me suis ensuite orienté vers le marketing dans la banque de détail.

Je suis devenu secrétaire général en charge de l’ensemble des fonctions de support de la succursale de BNP Paribas Australie, puis directeur général en charge de la gestion de fonds dans la filiale coréenne de BNP Paribas. à mon retour en France, en 2005, j’ai occupé pendant un an le poste de DSI de BNP Paribas Assurance. C’était la première fois que je revenais dans le monde de l’informatique depuis le début des années 1990.

Trois éléments m’ont frappé : d’abord, auparavant, lorsque les fournisseurs invitaient les directeurs informatiques à des séminaires, ceux-ci se déroulaient à la Défense. Aujourd’hui, c’est en Inde ! Ensuite, nous étions assez fiers que nos entreprises puissent vendre ses micro-ordinateurs à leurs collaborateurs. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on aimerait acquérir les PC de nos collaborateurs…

Enfin, j’observe une taylorisation assez poussée du métier, entre les MOA, les MOE, les différents métiers de la production et les directions des achats. Il y a vingt ans, la discussion était plus aisée avec les métiers et la production. Chacun a tendance à renvoyer les responsabilités vers les autres… Dans le monde anglo-saxon, cette logique de taylorisation me semble moins visible, en particulier parce qu’il existe des fonctions de « business analyst » entre MOA et MOE.

Comment s’organisent les relations entre la DSI et les métiers ?

Richard Valenti L’alignement stratégique vise à recréer de la fluidité entre tous ses composants et à les ancrer dans les métiers. Cela pose la question du positionnement de la production, de la MOE et de la MOA. Il est important d’organiser cette dernière vis-àvis des métiers. Il s’agit de créer des boucles de rétroactions, au sein de la chaîne linéaire du système d’information, depuis les différentes fonctions informatiques vers les métiers.

En ce qui concerne la MOE, la question est la suivante : quel rôle faut-il lui donner ? S’agit-il d’une mission qui s’arrête lorsque la recette d’une application est signée, ou la MOE doit-elle s’impliquer pour l’amélioration continue une fois que l’application est passée en production ?

Concernant la production, il s’agit de créer des postes de services managers dans les métiers et qui réagissent en cas d’incident. Il est important de disposer d’indicateurs : Il est facile d’atteindre une disponibilité de 99,5 %, mais cela ne signifie pas pour autant que l’utilisateur est satisfait. Chez Generali, nous disposons d’indicateurs hebdomadaires de satisfaction métier, qui nous permettent de réagir très vite.

Ces indicateurs sont des notes de un à dix, issues de discussions entre les services managers et les correspondants métiers, complétées par des éléments factuels. Notre objectif est d’obtenir, sur l’année, une note supérieure à 7/10. Mais ce n’est pas tant le niveau absolu de la note qui importe que sa variation, l’origine d’une dégradation et la capacité de réaction mise en œuvre.

Lorsque l’on raisonne sur des indicateurs de type « 99 % de disponibilité », l’objectif est de démontrer que l’informatique fonctionne : lorsque l’on raisonne sur des indicateurs de satisfaction, l’objectif est de montrer, non plus seulement que l’informatique fonctionne, mais qu’elle est de qualité. Ces indicateurs sont très bien perçus par les métiers. La note obtenue est d’ailleurs l’un des éléments de la rémunération des équipes de la DSI.

Autre initiative, que nous avons baptisée « Vis ma vie » : le principe consiste, pour les informaticiens, à changer de métier pendant une journée. à l’inverse, des collaborateurs des métiers viennent à la DSI et nous leur montrons la complexité de nos métiers. L’objectif est d’éviter que la DSI ne soit perçue comme une boîte noire.

Cette initiative participe à l’alignement stratégique. Des deux côtés, les collaborateurs sont surpris. Les représentants des métiers sont surpris de constater que les informaticiens ne savent pas bien utiliser les applications qu’ils savent par ailleurs très bien développer. Les informaticiens, pour leur part, sont surpris des difficultés liées à l’ergonomie de leurs applications. Preuve de l’efficacité de cette démarche : tous ceux qui ont participé à « Vis ma vie » ont exprimé la volonté de créer un club utilisateurs interne. Il sera mis en œuvre cette année pour un quart des effectifs de la DSI.

Le plan de transformation laisse-t-il la place à l’innovation ?

Richard Valenti Dans notre plan de transformation, nous avons au départ beaucoup travaillé « dans la soute ». Il faut désormais expliquer aux métiers ce que l’on a fait et ce que l’on va faire. Nous avons davantage investi, et c’est logique, sur les fondations du système d’information que sur l’innovation produit.

Le basculement vers un effort plus important en faveur de l’innovation produit constitue une évolution naturelle pour l’entreprise et pour la DSI. N’oublions pas que l’objectif de l’informatique dans une société financière est de permettre à cette dernière de se démarquer des concurrents avec des innovations produits. Depuis un an, nous avons sensiblement renforcé notre pôle innovation : aujourd’hui, la DSI s’appelle DIO, pour « Direction de l’Innovation et des Outils. »

Nous avons construit un processus spécifique pour l’innovation. C’est indispensable vis-à-vis de la direction générale. Sinon, celle-ci ne comprendra pas pourquoi, sur dix projets lancés, neuf seront abandonnés. Ce processus est similaire à celui du capital-risque : nous avons défini des enveloppes budgétaires avec la direction générale.

En termes d’innovation, nous avons par exemple créé un « Google » interne et une application iPhone, en avance sur la concurrence. Les initiatives « Vis ma vie » et le club utilisateurs sont issues d’un atelier de réflexion qui a réuni une quinzaine de personne de l’entreprise (moitié informatique, moitié métier), avec des méthodologies relativement décalées (le dessin par exemple).

On constate souvent un amalgame entre le changement et l’innovation. Un budget informatique se décompose généralement en trois grandes masses : la plate-forme (40 à 50 % du budget), la maintenance applicative (environ 15 %) et le changement (jours-hommes pour les projets).

Ce dernier volet ne comprend pas uniquement l’innovation dont il existe trois types : d’abord, l’innovation « éprouvette », liée au hasard, ensuite, l’innovation « feuille blanche », la plus rare mais aussi la plus noble, et, enfin, l’innovation de communication lorsque l’on observe en dehors de l’entreprise ce qui se pratique, y compris dans d’autres secteurs. L’idée de « Vis ma vie » est venue en identifiant les nouvelles pratiques managériales, notamment au Japon. De même, l’idée de notre application iPhone est née d’une table-ronde organisée dans une grande école et à laquelle a participé l’un de nos collaborateurs.

Il faut savoir que 98 % de l’innovation apparait en dehors de l’entreprise : la question n’est donc pas d’être intelligent mais de savoir organiser l’intelligence autour de soi. Je demande donc à mes équipes de sortir le plus possible de l’entreprise. Nous travaillons également avec des sociologues et même un sinologue avec qui nous avons organisé un séminaire, pour expliquer les différences entre les cultures grecque (basée sur le culte de l’effort et de l’héroïsme) et chinoise (basée sur la maturité et le travail sur les conditions de la réussite). La direction générale a bien compris l’intérêt de la démarche d’innovation et la nécessité d’investir dans la durée et de ne pas pratiquer des « stop and go ». Les arbitrages sont également facilités.

Nous avons également créé un laboratoire d’innovation, espace physique dans lequel nous avons installé des outils d’avant-garde, par exemple des écrans tactiles sur les murs. L’objectif est de tester les nouveaux usages en recréant l’environnement de nos clients. Cette agence du futur met en situation le client face au gestionnaire de contrats d’assurance. On imagine ainsi les nouvelles relations assurés-assureurs.


Les best practices de Generali

  • Création d’une équipe spécifique pour gérer l’adhérence entre les projets et les applications.
  • Gestion des trois grands risques d’un plan de transformation : les risques liés à l’ampleur du plan, à l’adhérence entre les projets et le risque humain.
  • Distinction entre l’ingénierie de développement (relations des informaticiens avec les métiers) et l’ingénierie d’intégration (équipes développant des composants qui doivent s’intégrer ensemble).
  • Porter attention à ne pas « tayloriser » la chaîne de production.
  • Rattacher la MOA à la DSI et l’organiser vis-à-vis des métiers.
  • Investissement dans la qualité pour réduire le nombre d’incidents.
  • Création de postes de services managers dans les métiers et qui réagissent en cas d’incident.
  • Création d’indicateurs hebdomadaires de satisfaction métier, notes de 1 à 10, issues de discussions entre les services managers et les correspondants métiers, et complétées par des éléments factuels.
  • Incitation pour les équipes de la DSI à occuper pendant quelques jours des fonctions dans les métiers, et réciproquement.
  • Construction d’un processus pour gérer l’innovation, avec un budget spécifique.
  • Création d’un laboratoire d’innovation, en collaboration avec la direction marketing.