Scénarios pour les DSI : anticiper les ruptures

Le Boston Consulting Group et le cabinet Octo Technology ont imaginé quatre scénarios, présentés lors de l’Université du Système d’Information. Des outils utiles aux DSI pour préparer l’avenir.

Dans le monde des technologies de l’information, les prévisions ont leur intérêt, lorsqu’elles sont bien faites et qu’elles aident à baliser le court terme. Mais, dès lors que l’on s’interroge sur les contours d’un monde futur dans lequel, on le sait, des ruptures ne manqueront de survenir et déstabiliser les DSI, la prévision montre ses limites.

Le Boston Consulting Group et Octo Technology se sont essayés à un intéressant exercice de prospective, dont les résultats ont été présentés lors de la dernière édition de l’Université du Système d’information. « Nous avons appliqué la méthode de la construction des scénarios pour imaginer le futur du métier de DSI, précise François Hisquin, président du directoire d’Octo Technology. Dans la mesure où l’on ne peut prévoir l’avenir, le recours à la prospective est nécessaire. » Si l’on ne peut prédire le futur, rien n’empêche de s’y préparer.

« Chacun a en tête un scénario de référence, on ne voit pas le monde tel qu’il est mais tel que nous sommes », ajoute Antoine Gourevitch, directeur associé du Boston Consulting Group France. La bibliothèque de tendances (environnementales, économiques, démographiques, économies, techniques..) du cabinet de conseil a été mise à contribution pour dégager quatre scénarios.

« Toutes ces tendances ont des degrés de probabilités différents, nous les combinons pour aboutir à des scénarios », souligne Antoine Gourevitch. L’intérêt de l’exercice est qu’il ne se résume pas à une projection dans le temps des tendances actuelles.

Quatre scénarios ont été définis et présentés à un panel de DSI. Premier scénario (« Big is beautiful ») : une consolidation extrême qui aboutit à ce que les DSI deviennent mondialisées et externalisées. Deuxième vision du futur : le modèle « AppStore » qui conduit à une redistribution complète du pouvoir et des responsabilités des DSI, transformés en « chefs de produits ». « Dans ce modèle, les entreprises n’ont plus besoin de DSI et les utilisateurs sont satisfaits », précise Antoine Gourevitch.

Le troisième scénario, baptisé « Green Detox » se traduit par une rupture fondamentale dans la manière d’architecturer les systèmes d’information, autour de problématiques écologiques. « Les informaticiens reprennent le pouvoir pour concevoir des systèmes intelligents », résume François Hisquin. Enfin, le quatrième scénario, le plus noir, décrit un monde où l’insécurité règne, jusqu’à faire écrouler une partie de l’écosystème des technologies de l’information. « Ce scénario brise la croyance selon laquelle on aura toujours un réseau informatique à disposition », note François Hisquin.

Pour chacun des scénarios, il a été demandé aux DSI ce qui, par analogie, correspondrait le mieux dans le monde du sport (voir tableau ci-contre) et quels sont les signaux faibles actuels qui permettent de discerner que tel ou tel scénario se dessine. On voit que les images sont justes : le DSI haltérophile (scénario 1) évolue dans un monde où il doit montrer sa force face à des fournisseurs monopolistiques. Dans le scénario « AppStore », le DSI doit être un adepte de la « natation synchronisée », discipline dans laquelle tous les acteurs doivent agir ensemble et de manière coordonnée.

Le scénario « Green Detox » correspond à des comportements de marathonien, « sport dans lequel tout est dépouillé, pur, et rien n’est inutile », précise Antoine Gourevitch. Enfin, le scénario « Reboot » se traduit, pour les DSI, par des comportements de boxeur : il faut constamment chercher des ressources pour survivre.

« Face à ces scénarios, les DSI que nous avons interrogés ont dégagé trois idées fortes, précise Antoine Gourevitch. D’abord, notamment dans le contexte du premier scénario, le seul moyen de s’en sortir est que les entreprises, mêmes concurrentes, travaillent en commun pour mutualiser ce qui peut l’être. Ensuite, les DSI estiment pertinent de redonner de la liberté aux utilisateurs.

Enfin, les DSI plébiscitent le fait d’intégrer à leurs budgets une partie « hygiène et ménage » ou « jardinage » : régulièrement, on enlève des applications, on coupe les mauvaises herbes et on replante… ».

Scénario 1 « Big is beautiful » : les DSI mondialisées et externalisées

Le marché s’est consolidé autour de trois géants : IBM, Oracle et ATSys (fusion de AT&T et d’Infosys). Désormais capables de fournir des solutions globales, ils prennent en charge intégralement l’activité IT des grands groupes. En se répartissant l’exclusivité des secteurs, ces trois géants ont rapidement éliminé toute autre concurrence.

IBM se spécialise dans la finance, Oracle dans l’industrie, ATSys sur la high-tech. Les trois acteurs proposent des contrats de business process outsourcing « à vie », indexés sur les résultats de l’entreprise. La fonction de DSI est mondialisée et externalisée dans les centres de services d’un des trois leaders, pour une bonne part en Inde et en Chine, peu importe.

Pour l’entreprise, l’IT est devenue une « commodité ». Le DSI, quant à lui, s’est transformé en « contract manager ». IBM et le nouveau consortium ATSys viennent de gagner leur appel contre la Commission européenne qui les accusait d’abus de position dominante. L’ancien premier ministre de l’Inde, devenu président d’ATSys, s’est félicité de cette décision.

Scénario 2 « AppStore » : la maîtrise applicative éclatée dans les métiers

Sur le modèle de l’« AppStore », une plate-forme d’applications destinée à l’entreprise est née de la fusion d’Apple et de Google. Infrastructures standardisées et catalogue d’applications métiers permettent d’assembler un système d’information « à la demande ».

Parfois autonomes, souvent en communauté, les meilleurs talents diffusent des logiciels spécialisés : modules de facturation, monitoring de chaîne de production, calculateurs de prix… Nombre d’entre eux, parfois à la retraite, font rapidement fortune. Wikipédia sert de colonne vertébrale aux échanges de savoirs dans ces communautés mondiales.

Dans l’entreprise, la maîtrise applicative est éclatée dans les directions métiers. Les utilisateurs sont ravis, la plate-forme propose le plus souvent une application répondant à leurs besoins. Dans le cas contraire, la mise en œuvre des compléments se résume à une composition de services. On ne parle plus de « projet » mais de « produit ». Des chefs de produits supervisent la vie de leurs applications et la cohérence de la « gamme » de l’entreprise.

Scénario 3 « Green Detox » : virtualisation et mutualisation à outrance

Suite à la « guerre de l’eau » au Proche-Orient, le dernier traité de Kyoto a pris acte de la division par trois de la consommation énergétique mondiale sur les cinq prochaines années. Les ressources IT, en représentant aujourd’hui près de 20 %, sont pointées du doigt et soumises à une politique de taxation énergétique sans précédent.

Chaque recherche Google est taxée à cinq dollars. Les entreprises commencent à remplacer leurs centres informatiques traditionnels par des plates-formes de production virtualisées et mututalisées. Mais ce n’est pas suffisant. La taxation remet en cause la « course à l’armement » qui a engendré de nombreuses fonctionnalités inutiles.

Une étude montre que moins de 30 % des lignes de code sont utilisées. Des systèmes entiers sont donc débranchés. De nouvelles méthodes orientées performance énergétique voient le jour, une version de Java sans machine virtuelle est développée, la programmation en langage machine revient au goût du jour.

Le Département de la défense américain livre son « GreenOS » à la communauté Open Source. A l’instar de l’automobile en 2010, l’industrie informatique se restructure. SAP a sorti une version « Logan » de son PGI et prend des parts de marché.

Scénario 4 « Reboot » : vers une pénurie d’informaticiens

La généralisation d’un activisme anticapitaliste fait suite à la crise financière. Les virus « Spoutnik » et « Longue Marche » se sont combinés, ce qui a entraîné l’effacement de 30 % des données des centres de calcul et empêché Internet de fonctionner pendant huit semaines.

L’informatique connaît alors son 11 septembre à elle. Dix grandes banques ont fait faillite suite à la perte de leurs données. Par prudence, toutes les communications sont coupées. Dans l’urgence, certains réseaux parallèles se mettent en place entre acteurs de confiance.

Trop tard cependant pour 20 % des entreprises dans le monde qui disparaissent faute d’être capables de produire ou de facturer. Rapidement, l’activité IT est réinternalisée, ce qui crée une pénurie d’informaticiens. L’infrastructure devient stratégique.

La recherche de sécurité maximale conduit à réduire autant que possible le turnover. Les technologies propriétaires sont redéveloppées et les profils les plus senior sont rappelés de leur retraite. « Plus jamais ça » est le nouveau mot d’ordre. »

Les quatre scénarios du Boston Consulting Group et d’Octo Technology
 Scénario  Analogie avec une discipline sportive Signaux faibles précurseurs 
Big is beautiful : les DSI mondialisées et externalisées  Haltérophilie
  • Le rachat de Sun par Oracle.
  • L’augmentation des tarifs de SAP.
 AppStore : la maîtrise applicative éclatée dans les métiers  Natation synchronisée
  • L’engouement pour le SaaS.
  • Le succès de l’iPhone.
  • L’émergence du cloud computing.
Green Detox : virtualisation et mutualisation à outrance Marathon 
  • Google investit dix millions de dollars dans la start-up brightSource Energy (technologies solaires).
  • Pour la première fois, publication des chiffres de consommation IT.
  • Les universités américaines se contentent largement de l’utilisation de suites bureautiques « light » (Google Doc).
Reboot : pénurie d’informaticiens Boxe 
  • Le CIO d’Apple annonce que le volume de ses archives est multiplié par trois chaque année et que c’est difficilement maîtrisable.
  • Sept minutes d’arrêt de Google suite au décès de Michael Jackson, Google croyant subir une attaque.
  • Clés USB interdites à l’intérieur de certaines banques.
Source : Boston Consulting group, Octo Technology.