Symposium Gartner 2020 : ce qu’il fallait retenir

Le dernier Symposium organisé par Gartner, qui s’est déroulé en ligne à Barcelone début novembre 2020, a abordé tous les grands thèmes de l’évolution des systèmes d’information, du rôle des DSI et des problématiques digitales. Parmi les 130 présentations d’analystes et les 4000 slides associés, nous avons identifié les tendances clés de l’évolution du positionnement du DSI et les challenges majeurs auxquels ils sont confrontés.

La transformation digitale s’accélère

On s’en doutait, mais Andy Rowsell-Jones, analyste chez Gartner, le rappelle : « 2020 a été une année très « challenging ». » L’enquête menée par Gartner dans 74 pays auprès de 1 877 DSI, dont les entreprises pèsent 85 milliards de dépenses IT, révèle une accélération de la transformation digitale. La crise sanitaire a modifié les stratégies digitales des entreprises, dans le sens d’une multiplication des initiatives digitales, d’un focus sur l’efficacité, l’opti­misation des coûts et l’excellence opérationnelle, selon Gartner.

Cette tendance est mesurée par l’indicateur de la proportion d’entreprises dans lesquelles la transformation digitale est parvenue à maturité : en 2017, elles étaient moins de 20 %. En 2020, c’est presqu’une sur deux.

Près de la moitié des entreprises sont dans une phase de mise à l’échelle ou d’optimisation de leur transformation digitale. Selon Gartner, on obtient la structure suivante :

  • Pas d’initiatives digitales : 2 % des entreprises.
  • Des ambitions : 13 %.
  • Phase de design : 13 %.
  • Phase de delivery : 25 %.
  • Phase de mise à l’échelle (scale) : 30 %.
  • Phase d’optimisation : 18 %.

Comme les années précédentes, c’est toujours la croissance qui figure en tête des préoccupations des directions générales. On note également une forte progression de celles liées aux systèmes d’information. Les problématiques digitales sont de plus en plus intégrées dans les préoccupations des comités de direction. Lorsque Gartner questionne les DG sur leurs priorités, le terme digital revient de plus en plus souvent, cinq fois plus en 2020 qu’en 2012. Selon les dirigeants, les DSI sont les mieux placés, en terme de maturité technologique, pour répondre à leurs besoins. C’est évidemment logique et on retrouve en tête du classement les RSSI et les Chief Data Officers. En revanche, les DRH, les responsables juridiques ou de la chaîne logistique et les commerciaux sont considérés comme les moins à même d’orienter les DG sur les problématiques technologiques.

Une évolution des relations entre les DSI et les DG

Il existe quatre principaux modèles de relations entre les DSI et les directions générales :

  1. Les relations conflictuelles, lorsque le DSI se trouve menacé.
  2. Les relations transactionnelles.
  3. Les relations partenariales.
  4. Les relations de confiance.

Selon Gartner, le poids de chacun de ces modèles a évolué en 2019. On trouve beaucoup moins de DSI au cœur de situations conflictuelles. Le modèle dominant reste le mode partenarial, qui progresse encore en 2020, il concerne désormais plus d’une entreprise sur deux. Gartner note également une progression significative des relations de confiance entre la direction générale et le DSI. Par ailleurs, le mode transactionnel tend à s’affaiblir légèrement. Selon Andy Rowsell-Jones, la crise sanitaire a créé de nouvelles opportunités pour les DSI. D’abord, 80 % des DSI estiment qu’ils peuvent mieux convaincre les métiers et les directions générales de la valeur de l’IT. Ensuite, sept DSI sur dix pensent que leur leadership s’est renforcé du fait de leurs initiatives qui ont eu un impact significatif pour l’entreprise. Enfin, une même proportion assure que les métiers sont plus impliqués dans les projets IT.

Les systèmes d’information composables

Régulièrement, Gartner popularise un concept d’évolution des systèmes d’information. On se souvient de l’approche bi-modale ou de « ContinuousNext » : une formule qui permet aux entreprises de s’adapter à des environnements en évolution constante. Elle regroupe trois ingrédients de base : la culture, les pratiques et les technologies. Et s’exprime de la façon suivante : l’addition de la culture et des pratiques, multipliée par les technologies, détermine les capacités à s’adapter et, donc, les résultats qu’une entreprise peut obtenir. En 2020, Gartner met en avant le « composable business ». Cette approche concerne trois domaines : les technologies, la stratégie et les architectures. Pour Gartner, c’est dans la logique d’évolution des organisations : les métiers traditionnels se transforment pour devenir numériques et, avec l’accélération, ils doivent se muer en « composable business ». Selon Rajesh Kandaswamy, « un business « composable » est une organisation qui est conçue pour une adaptabilité en temps réel et une résilience face à l’incertitude. » Selon l’analyste, qui admet que cette idée n’est pas nouvelle, c’est un framework qui guide les priorités et les investissements, ce n’est ni un business model, ni une structure organisationnelle. Du côté technologique, le composable se caractérise par l’autonomie, la modularité et l’orchestration.

Selon Gartner, il faut accepter que la disruption devienne la norme et qu’il faut donc garantir la résilience des organisations. Cela suppose que les entreprises exploitent les technologies à travers une approche modulaire, mêlant plusieurs éléments. Selon Gartner, 69 % des dirigeants veulent accélérer les initiatives digitales pour faire face à ces disruptions. « Pour certaines entreprises, cela signifie qu’elles vont rendre réel le digital, pour d’autres qu’elles vont y consacrer davantage de ressources », estime Daryl Plummer, vice-président de la recherche chez Gartner. « Le business composable est le prolongement naturel de l’accélération de la transformation digitale que les organisations vivent au quotidien. Il permet de garantir la résilience et l’agilité que le contexte actuel exige. » « Depuis longtemps, les entreprises ont l’habitude d’intégrer et de mélanger des éléments, s’adaptant en permanence. Mais la flexibilité, la fluidité, voire l’improvisation, sont plus que jamais indispensables dans un environnement incertain et volatil », rappelle Paul Saunders, directeur de recherche chez Gartner. Quatre principes sont mis en avant pour favoriser cette approche composable : gagner en rapidité par de nouvelles idées pour doper la créativité, favoriser l’agilité/flexibilité de l’organisation avec davantage de modularité, consolider le leadership avec l’orchestration, ainsi que la résilience avec l’autonomie. Ces quatre principes doivent s’appliquer à trois univers : la pensée stratégique, l’architecture business et les technologies.

Selon Tina Nunno, vice-présidente de Gartner, « pendant toute l’année 2020, les entreprises ont continué à délivrer de la valeur, mais la prochaine étape est de capitaliser sur ces trois domaines et ces quatre principes, afin d’atteindre les objectifs en termes de résilience, d’accélération digitale et de capacités à innover dans un environnement disruptif. » Encore faut-il reconnaître le bon moment pour s’engager dans une telle approche. Ces moments déclencheurs peuvent être d’ordre géopolitique, sanitaire, sociétal ou résider dans un changement de comportements des consommateurs.

Leadership du DSI : le levier du storytelling

Comment mieux convaincre les métiers et les directions générales ? Ed Gabrys, analyste chez Gartner, livre quelques principes dont tout manager peut s’inspirer pour pratiquer le storytelling, afin de mieux faire passer ses idées. « Il faut partir de l’hypothèse que l’attention est limitée et est très variable », rappelle Ed Gabrys, pour qui le temps moyen de visionnage d’une vidéo est de 2,7 minutes et de 18 minutes pour une conférence sur le mode TED. Il faut ainsi mélanger trois éléments : l’éthos (celui qui parle), le pathos (l’audience qui écoute) et le logos (le message). L’analyste suggère ainsi les bonnes pratiques suivantes :

  • Faire de la problématique traitée une affaire personnelle, c’est-à-dire exprimer son point de vue sur ce qui doit être fait.
  • Faire appel à l’imagination : il est préférable de montrer plutôt que de dire : le pouvoir de l’image est souvent supérieur à celui des mots.
  • Privilégier certains détails qui seront mémorisés par l’audience.
  • Se focaliser sur les questions clés : que doit retenir l’audience ? Est-elle prête à entendre le message ? Quelles questions vont être posées ? Quels changements veut-on impulser ? Que doit-elle retenir ?…
  • Surprendre l’audience en jouant sur les silences.
  • Anticiper l’échec de la présentation : que faire alors ?

Les DSI doivent avoir sept qualités pour se positionner en leader : l’agilité, la vision, l’empathie, la stabilité, l’authenticité, l’accessibilité et la curiosité. « Les managers qui ne gèrent pas leur réputation personnelle (c’est-à-dire ce à quoi pense un individu quand il entend leur nom) seront étiquetés par les autres, et ils risquent de ne pas aimer le résultat », estime Graham Waller, analyste chez Gartner.

L’an dernier, l’anthropologue américaine Mary Catherine Bateson a rappellé que « l’être humain pense par métaphore et apprend grâce à des histoires. » « Le cerveau humain a d’abord besoin de comprendre la signification avant de connaître les détails », estime pour sa part John Medina, biologiste à l’université de Washington. Cette problématique n’est évidemment pas nouvelle et repose sur trois principes : la crédibilité (Ethos), l’émotion (Pathos) et la logique (Logos). En particulier pour trois domaines dans lesquels les DSI doivent interagir avec la direction générale ou le Comex : les budgets, l’influence et les mauvaises nouvelles.

Pour les négociations budgétaires, Irving Tyler, analyste chez Gartner, suggère de s’inspirer des présentations auprès d’investisseurs, avec les principes suivants : proposer des slides courts (pas plus de quatre idées), rester honnête, avoir une proposition de valeur claire, mettre en avant les équipes, rester concret et visuel et définir les meilleures options possibles. « Il faut limiter à moins de 10 % les considérations sur les technologies », recommande-t-il. Dès lors qu’il s’agit d’influencer un Comex, il faut se souvenir que les managers ne s’intéressent généralement qu’à trois problématiques : le chiffre d’affaires, les coûts et les risques. Il faut donc axer le discours sur la valeur et la performance, l’optimisation et le contrôle des risques. Irving Tyler cite un exemple de mauvais pitch : « La transformation digitale, c’est de la technologie et je vais vous présenter le fonctionnement de cinq plateformes technologiques que nous pourrions utiliser. » Avec son contraire, plus efficace : « Nous allons explorer les opportunités digitales clés qui vont créer de la valeur pour l’entreprise et améliorer l’engagement de nos clients de 35 %. »

Dès lors qu’il s’agit d’annoncer de mauvaises nouvelles, pour l’analyste de Gartner, « il est préférable d’être crédible et convaincant plutôt que d’être exhaustif », selon trois principes : ne jamais donner de chiffres sans leur interprétation, toujours replacer l’événement dans son contexte et avoir la réponse aux questions, en l’occurrence la solution au problème posé. « Il est moins important de se focaliser sur le montant des budgets que sur la valeur créée », résume Richard Natale, analyste chez Gartner.

Les modes de relations entre les DSI et les directions générales
2019 2020
Modèle conflictuel 17 % 3 %
Modèle transactionnel 16 % 13 %
Modèle de partenariat 43 % 54 %
Modèle de confiance 24 % 30 %
(% d’entreprises).
Source : 2021 CIO agenda : rebuilding the future, Gartner Symposium 2020.
Les priorités des DG à deux ans (somme des trois premières mentions)
2020 2019 2018 2017 2016
croissance  55 %  53 %  40 %  58 % 54 %
Les systèmes d’information  45 %  32 %  31 %  31 %  24 %
Le Corporate  24 % 31 %  33 %  23 %  24 %
La finance  28 %  23 %  15 %  16 %  10 %
Les RH  19 %  21 %  28 %  16 %  27 %
Les clients  14 %  15 %  23 %  21 %  31 %
L’amélioration des produits  12 %  15 %  15 %  20 %  11 %
La gestion des coûts  14 %  12 %  9 %  11 %  13 %
La productivité et l’efficience  7 %  8 %  7 %  –  9 %
L’innovation  –  8 %  –  –  –
Le management des risques  6 %  7 %  –  7 %  –
Source : Gartner
Business traditionnel vs composable : les différences
 Domaines  Business traditionnel  Business composable
 Stratégie  Définie à long terme  Adaptée en permanence
 Clients  Gérés en silos (ventes, marketing, fidélisation…)  Le « everything customer », multicanal
 Création de valeur  De l’entreprise vers les clients  De l’écosystème vers les clients
 Technologies  Statiques  Composables
 Ressources humaines  L’humain  L’humain + la machine + les algorithmes
Opérations  Stabilité  Adaptables (avec l’IA, l’IoT..)
Sources : – Use a composable business architecture for the digital future, Rajesh Kandaswamy, Gartner Symposium 2020.- Gartner Says Organizations Should Strive for Composability to Be Resilient and Agile During Uncertainty, Gartner Symposium 2020.