Technologies numériques et emplois : turbulences en vue

Une nouvelle étude concernant les incidences de la transformation numérique sur les emplois et la productivité a été publiée par l’OCDE, en marge du sommet du G7, qui s’est déroulé au Canada en mars 2018.

Nous serions dans une période de transition : « La transformation numérique a des incidences positives sur la productivité de nombreuses sociétés, mais elle ne s’est pas encore traduite par une croissance améliorée de la productivité pour l’ensemble de l’économie », observent les auteurs.

Et cette période de transition, voire d’incertitude, devrait se poursuivre : « La grande diversité des changements technologiques crée une grande incertitude à l’égard de leur orientation et des incidences futures. En effet, les prédictions par rapport à l’échéancier technologique sont souvent inexactes et la surestimation des incidences à court terme est commune. » On le voit par exemple avec l’intelligence artificielle, l’Internet des objets ou la Blockchain, considérés comme les trois principales technologies transformatrices.

Celles-ci, selon l’OCDE, présentent des caractéristiques communes, par exemple leur dépendance vis-à-vis des ensembles de données volumineux et d’un large éventail de technologies numériques. Elles ont également un fort potentiel pour améliorer la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques d’intérêt public. Mais avec des conséquences significatives sur l’emploi.

Selon les estimations de l’OCDE, environ 14 % des travailleurs courent un risque élevé que la plupart de leurs tâches actuelles soient automatisées au cours des quinze prochaines années. « Les tâches de 30 % des autres travailleurs changeront considérablement et, par conséquent, les compétences requises aussi. » Environ la moitié des travailleurs seront confrontés à la nécessité de s’adapter considérablement au nouveau milieu de travail, souligne le rapport.

Et tous ne seront pas mieux lotis : « Bien que la vitesse à laquelle les changements s’opèrent soit incertaine, il n’y a aucun doute que les types d’emploi qui se créent ne sont pas les mêmes que ceux qui se perdent. De plus, il se peut que les travailleurs ayant perdu un emploi dans un secteur d’activités en déclin ne soient pas ceux qui bénéficient des nouvelles possibilités d’emploi qui se présentent dans les domaines en expansion. »

Ce sont probablement les emplois de « milieu de gamme », moyennement spécialisés, qui seraient les plus touchés. L’OCDE note que le marché du travail se polarise, avec des emplois peu qualifiés et très qualifiés en hausse, tandis que le « milieu de gamme » baisse. Désormais, les travailleurs peu spécialisés sont ceux qui risquent le plus de faire les frais de la transformation numérique, « mais ils sont actuellement les moins susceptibles de recevoir une formation. Si l’on excepte quelques emplois relativement peu exigeants de ce point de vue, par exemple les activités de soin ou d’aide aux personnes, le risque d’automatisation est d’autant plus faible que le niveau d’études et de qualification est élevé. » Face à ces risques de marginalisation, l’OCDE plaide pour que les pouvoirs publics facilitent la reconversion, adapte la règlementation du travail (face aux licenciement) et la protection sociale.

214 biblio1
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
  • Gmail

Technologies transformatrices et emplois de l’avenir, OCDE, avril 2018, 32 pages.


Pourquoi les technologies numériques n’augmentent pas toujours la productivité ?

À compter de la première moitié des années 2000, la productivité a marqué le pas dans l’ensemble des pays du G7, observe l’OCDE. On retrouve de paradoxe dit de Solow, du nom de l’économiste américain qui avait observé, au milieu des années 1980, que les effets de l’informatique se voyaient partout… sauf dans les statistiques de productivité. Pour l’OCDE, trois raisons expliquent ce paradoxe :

  • Le rythme de diffusion des technologies numériques : « Si de nombreuses entreprises ont désormais accès aux réseaux haut débit, l’utilisation d’outils et d’applications plus élaborés reste très inégale selon les pays et les PME demeurent à la traîne », constatent les auteurs de l’étude, pour qui « il existe un écart considérable entre ce qu’il est possible d’automatiser d’un point de vue purement technique (et qui pourrait être déjà mis en œuvre dans les entreprises à la frontière) et ce qui l’est réellement au sein de l’entreprise moyenne. »
  • La transformation numérique n’est pas seulement une question de technologie : plus important encore, elle doit s’accompagner d’investissements complémentaires essentiels dans les compétences, le changement organisationnel, l’innovation de procédé, les nouveaux systèmes et les nouveaux modèles économiques. « L’ampleur et la complexité de ces investissements pourraient aller croissant, faisant de la transformation numérique une gageure pour de nombreuses entreprises », déplorent les auteurs de l’étude.
  • Les incidences limitées des technologies numériques sur la productivité sont également imputables à la lenteur des changements structurels et de la redistribution des ressources : « La proportion de vieilles entreprises non viables, soit les entreprises de plus de dix ans qui accusent des pertes pendant au moins deux années consécutives, a progressé dans de nombreux pays de l’OCDE, en particulier depuis la crise financière de 2007-08, alors que leur productivité a décru rapidement par rapport à celle des vieilles entreprises « viables » et des entreprises plus jeunes en général. »