Vingt principes pour surmonter la crise

La crise économique est là et il va falloir faire avec. Comme toute crise, elle sera passagère, même si elle doit durer plus qu’on ne voudrait, et il faudra vivre l’après-crise. Il faut donc s’y préparer dès maintenant.

La manière dont le DSI va vivre la crise dépendra évidemment de la manière dont sa direction générale va réagir, des contraintes qu’elle lui imposera, des décisions qu’elle prendra, de sa hauteur de vue, de la situation dans laquelle se trouve l’entreprise. La différence entre les entreprises se fera sur leur décision ou non de développer de nouveaux systèmes pour se préparer à la sortie de crise, voire favoriser la sortie de crise.

Pour certaines, le gel sera brutal, mais pour d’autres ce pourra être l’occasion d’innover, de lancer de nouveaux produits, d’envisager de nouvelles méthodes et de nouvelles voies, et donc de lancer de nouveaux projets. Quel que soit le type d’entreprise, qu’elle soit visionnaire et décidée à rebondir, ou tout simplement calamiteuse et accablée par le destin, il est bien évident, de toute façon, que toutes vont passer par une phase « tour de vis » et que la DSI doit envisager un certain nombre de mesures qui seront nécessaires.

La crise, quelle que soit la dureté des temps, doit être considérée non comme une calamité mais comme une opportunité, celle de faire ce qu’on n’a jamais le temps de faire en phase d’expansion ou de conquête : ce peut être l’occasion de faire passer des idées qui n’auraient jamais pu être envisagées auparavant, de se réorganiser, de reprendre pied sur des positions perdues, de se repositionner.

Dans le domaine des systèmes d’information, le management de situations de crise n’est que la mise en œuvre des grandes règles de travail et des méthodologies connues souvent depuis des décennies dans la profession. Ce qui change, c’est d’abord leur mise en œuvre, au lieu des promesses incantatoires et des vœux pieux, c’est le choix des priorités et la vitesse de mise en œuvre.

Mais le rôle du DSI en cette période difficile est aussi de s’appuyer sur les systèmes d’information pour proposer de nouvelles approches, de nouvelles organisations, de nouvelles manières de travailler, en un mot, d’innover.

1. Améliorez la qualité de service Cette première phase est indispensable, ne serait-ce que pour avoir voix au chapitre ! C’est en effet en période de crise que les opérationnels ont le plus besoin de bonnes prestations pour pouvoir réagir vite aux évènements. Il s’agit de se focaliser sur l’essentiel et y rechercher l’excellence et de s’attacher, pour les prestations majeures, à stabiliser puis à augmenter, si possible, la qualité de service. C’est le temps des tableaux de bord (simples et de bon goût !), de l’établissement de contrats de service réalistes et suivis.

2. Passez les budgets à la « paille de fer » Il faut se poser la question, sur chaque ligne de budget, et responsabiliser les chefs de projets sur leurs prévisions car les économies ne sont envisageables que si chacun y contribue. N’hésitez pas à tailler dans le vif : il vaut mieux -20 % d’un coup qu’un insidieux -3 % par an pendant dix ans.

Au début, cela paraît toujours impossible et puis, si l’on fait fi de tous les tabous qui existent (et surtout si c’est la première fois que l’on fait sérieusement l’exercice), on s’aperçoit que des réductions significatives sont possibles. L’exercice est à l’évidence impossible si la DSI se retrouve dans la situation où ses budgets ont été grattés jusqu’à l’os plusieurs années de suite.

Ne pas perdre de vue cependant que l’informatique n’est pas simplement un centre de coûts, que le budget informatique ne représente que quelques pour cent du budget global de l’entreprise et que ce ne sont donc pas les coupes sombres au niveau des seuls budgets informatiques qui entraîneront de réelles économies au niveau de l’entreprise !

Néanmoins, l’exercice est indispensable car il permet maîtriser les coûts, de mettre en exergue les véritables enjeux et donc d’investir à bon escient, de garantir les projets qui auront résisté à l’épreuve du feu et aussi, et peut-être surtout, de ne pas succomber à la logique simpliste de l’unique réduction des coûts. L’exercice est utile aussi car il oblige à se poser des questions et, comme toute contrainte, il stimule l’innovation.

3. Arrêtez les projets mal partis, ou non rentables, ou ne correspondant plus au besoin. Cela sera l’occasion de discussions fructueuses avec les différentes directions et business units !

4. Mettez en place un portefeuille de projets impliquant les business units et autres directions : ce sera le prélude à un choix de priorités par la direction générale, exercice auquel elle ne répugne pas s’il est bien préparé.

5. Arrêtez les prestations ne correspondant plus à rien (édition d’états inutiles, tableaux de bord obsolètes, applicatifs faisant double emploi…).

6. Réduisez le nombre de prestataires : moins de contrats en régie, plus de contrats de service.

7. Bousculez les organisations qui ont résisté à toutes les tentatives de remise en cause en période de vaches grasses, par exemple en matière de dispersion géographique (profitez-en pour concentrer les équipes si cela fait sens, bien sûr), pour les DSI métiers qui se sont dotées de structures redondantes, pour les multiples versions de progiciels différents qui traitent les mêmes fonctionnalités. Et profitez du mouvement pour revoir les structures, promouvoir les éléments moteurs… et sortir les tire-au-flanc !

8. Renégociez les contrats Les prestations fournies correspondent-elles toujours au contrat signé ? Toutes les subtilités prévues au contrat étaient-elles et sont-elles toujours nécessaires ? Les conditions n’ont-elles pas changé ? Les périodes de garantie peuvent-elles être augmentées ?

9. Réduisez les coûts par la mise en œuvre d’approches nouvelles : virtualisation, optimisation du poste de travail, politique d’impression, passage aux suites bureautiques disponibles sur le libre, allongement de la durée de vie des matériels, etc.

10. Envisagez l’externalisation d’activités non stratégiques ou mal traitées en interne.

11. Capitalisez sur les bonnes pratiques Ces pratiques sont bien connues : Itil, Cobit, ISO, CMMI, etc., mais il faut savoir que leur mise en place est longue et difficile. Il faut donc être très pragmatique dans leur mise en œuvre et très déterminé dans la mise en place de pratiques simples d’abord, avant de sophistiquer quoi que ce soit.

On s’aperçoit alors que les fondamentaux ne sont que du bon sens… Attention de ne pas tomber dans la bureaucratie, car c’est le danger, et ne pas perdre de vue que l’essentiel, c’est la compétence, la méthodologie n’étant que la « cerise sur le gâteau ».

12. Mettez en place une facturation des prestations. La démarche est assez longue quand on part de rien, mais elle a le mérite, si elle est faite dans la transparence avec des règles claires, de sensibiliser les utilisateurs aux coûts, de permettre un véritable dialogue sur la valeur des prestations et sur les priorités.

Elle a pour conséquence de mieux aligner les systèmes d’information sur les objectifs de l’entreprise. Elle permet aussi un meilleur étalement de la charge en incitant par exemple les utilisateurs à faire exécuter certains travaux la nuit moyennant une réduction du coût des unités d’œuvre. Il ne s’agit donc pas d’un travail administratif inutile, ni de monnaie de singe, comme certains le prétendent.

13. Préoccupez-vous de la consommation énergétique et du Green IT.

14. Établissez les bonnes pratiques de gouvernance (qui seront bien utiles pour établir des priorités…). C’est le moment pour faire passer les idées de normalisation, de cohérence et d’unification, idées rageusement combattues par les directions métiers en période faste, lorsque chacun a les moyens de son indépendance.

15. Préparez-vous à la reprise Une fois obtenue l’excellence opérationnelle, avec une DSI renouvelée et optimisée, il s’agit de préparer l’avenir en consolidant les résultats acquis et en mettant en place une organisation agile, réactive, en phase avec les besoins métiers.

La DSI pourra alors proposer un catalogue de prestations plus qu’un catalogue de services abscons, et des services métiers plutôt que des projets informatiques. En mesurant la valeur de ces prestations et services et leur contribution au résultat de l’entreprise, la DSI se positionnera en partenaire et non plus en centre de coûts.

16. Préparez la DSI à une approche nouvelle de la gestion des technologies qui seront de plus en plus imbriquées dans toutes les activités métiers, avec des utilisateurs qui les auront pratiquées dès leur enfance et qui auront donc leur mot à dire dans les choix, dans leur mise en œuvre et dans leur utilisation.

17. Envisagez la mise en place de tous les ingrédients de la réactivité, petites équipes, travail conjoint avec l’utilisateur, affinage progressif des spécifications, étapes courtes, SOA, Extreme Programming, modélisation, approche objet, etc.Il faudra aussi certainement innover dans les infrastructures (téléphonie sur IP), dans les nouveaux services (SaaS), dans de nouvelles plates-formes (Cloud computing), etc.

18. Reconquérez les positions perdues Il s’agit de prendre langue avec les opérationnels et de proposer que chacun se recentre sur son domaine d’excellence, discours difficilement audible en temps normal, mais qui peut sonner juste dans ces périodes troublées.

Il conviendra de préciser les rôles respectifs de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre en veillant à abolir cette absurde césure entre ceux qui pensent et ceux qui font. C’est alors que l’on peut envisager de centraliser les décisions techniques structurantes, mettant ainsi fin aux différentes chapelles techniques qui ont fleuri dans les directions métiers.

19. élargissez votre champ d’action En s’impliquant dans la gestion des processus, dans l’organisation, la formation, la communication, la conduite du changement, en un mot dans tout ce qui concourt au bon aboutissement d’un projet et à l’amélioration de la performance de l’entreprise, la DSI aura l’occasion de montrer qu’elle aborde les difficultés avec l’état d’esprit, la hauteur de vue et le savoir-faire qu’une direction générale attend d’elle. Elle pourra ainsi sortir de l’enfermement dans laquelle ses aimables collègues l’ont placée.

En montrant la voie au sein de l’entreprise (amélioration des processus, schéma d’urbanisation du SI et de l’entreprise elle-même, etc.), la DSI se placera résolument en vecteur de l’innovation, même si tout cela nécessite du temps, de la formation, de l’argent.

20. Réfléchissez avant d’agir. Toutes les actions précitées ne pourront être menées en même temps, certaines demanderont des investissements et il faudra faire des choix. Pour certains, ou pour certaines, tout ce qui est conseillé ci-dessus aura déjà été fait. Heureux DSI ! Mais que vont-ils donc pouvoir proposer à leur DG ?

Car s’ils ne proposent rien, ils risquent leur place… Mais n’ayez crainte, il est bien rare qu’il n’y ait rien à faire, même, et peut-être surtout, dans les grandes organisations, car la perfection n’est pas de ce monde. Dans le choix des actions à lancer, et elles sont légion, il convient de faire preuve d’un grand pragmatisme et j’oserais même dire d’opportunisme car, en période de crise, la logique habituelle n’a plus cours et les résultats doivent être rapides, incontestables, éclatants.

Cet article a été écrit par Philippe Tassin, DSI de transition.